Rencontre avec Rie ARUGA, autrice de « Perfect World »

Rie ARUGA est l’autrice de « Perfect World » dont le tome 9 sort ce jour aux éditions Akata. Elle est actuellement à Paris où elle a un programme chargé de rencontres avec le public français. Nous lui avons posé quelques questions avant son arrivée à Japan Expo ce week-end.

Japan FM : Bonjour Rie ARUGA. C’est votre 1ère venue en France et vous avez déjà participé à une rencontre hier (au Renard Doré), avant les dédicaces cet après-midi (à la Fnac Montparnasse), puis tout ce week-end en dédicaces et conférences à Japan Expo ! Quel a été votre sentiment lorsque vous avez su que vous viendrez en France rencontrer pour la 1ère fois vos lecteurs ?

 

Rie ARUGA : J’étais évidemment très honorée d’être invitée par la maison d’édition Akata. « Perfect World » a été traduit dans 11 pays mais parmi ces 11 pays, le pays où il y a le plus de lecteurs et où ça a soulevé le plus d’enthousiasme, c’est la France. Donc évidemment j’étais très heureuse  quand j’ai appris la nouvelle. Et puis personnellement, c’est un pays que j’aime beaucoup. Donc j’étais très heureuse.

 

JFM : « Perfect World » est surtout l’illustration d’une réalité : le handicap et sa perception par les autres. Un sujet universel mais au Japon, le regard de la société sur le handicap semble assez difficile si ce n’est cruel d’un point de vue français. Quelle en est la réalité ?

 

Rie ARUGA : Le ressenti peut être évidemment très différent d’un individu à l’autre. Mais, pour écrire ce manga « Perfect World », j’ai interviewé beaucoup de gens, de personnes touchées par un handicap dans leur vraie vie. J’ai reçu beaucoup de témoignages et c’est à partir de ces témoignages que j’utilise comme matériaux de base que j’ai créé cette histoire. Donc je pense que mon manga reflète assez bien la réalité du handicap vécu au Japon. Personnellement, je pense que le Japon est un pays qui est très bien équipé en matière d’infrastructures publique. Parce qu’il y a des ascenseurs partout, dans le métro, dans les gares… Donc ce n’est pas tellement l’accessibilité physique qui est un problème au Japon mais plutôt cette barrière psychologique que les gens mettent, entre les valides d’un côté et les personnes handicapées de l’autre. Toutes les personnes handicapées que j’ai interviewées me disent comment les valides se comportent auprès d’eux : soit ils font preuve de trop de prévenance, c’est-à-dire qu’ils ne savent pas comment réagir avec des personnes handicapées, ou alors, ils réagissent avec beaucoup de froideur. Soit trop prévenant, soit trop distant, et on sent qu’il y a un vrai malaise face au handicap.

J’aimerais vous raconter une anecdote qui est assez révélatrice de ce que je viens de vous dire : il y a une étudiante en fauteuil roulant et qui m’envoie souvent des messages par mails, parce qu’elle est lectrice et qu’elle aime bien « Perfect World ». Et elle me donne souvent des renseignements sur ce qu’elle vit au quotidien. C’est une étudiante qui prend tous les matins le bus pour aller à la fac. Quand elle prend le bus, il n’y a aucun problème puisque le bus est adapté pour qu’elle puisse monter avec son fauteuil roulant mais ça prend un peu de temps parce qu’il faut sortir la rampe puis ranger la rampe (ndla : les bus japonais sont équipés d’une rampe que le chauffeur doit activer manuellement), donc ça retarde peut-être un peu les autres passagers. Un jour, elle prend le bus comme d’habitude et monte dedans avec son fauteuil roulant. Et une dame assise à côté d’elle qui, pendant tout le trajet, lui dit : « Mais vous vous rendez compte mademoiselle ? A cause de vous, vous avez bien vu que ça fait retarder le bus, on est obligé de s’arrêter. Est-ce que vous vous rendez compte que retardez tous les passagers ? etc… Est-ce que vous avez bien vérifié que vous n’aviez pas d’autres moyens de transports ? ». C’était comme ça pendant tout le trajet et elle ne savait pas quoi dire. Elle était au bord des larmes. Heureusement qu’il y avait un monsieur assis derrière elle, qui, un moment donné n’en pouvait plus et il a gueulé sur la dame en lui disant : « Mais ça suffit vous ! Ca commence à bien faire. Vous dites des choses d’une froideur ! Vous n’avez pas d’âme ! ». Elle s’est sentie soulagée par ces mots car elle s’est dit : « Est-ce que tous les passagers pensent la même chose que cette affreuse dame ? ». Et elle s’est rendue compte que non. Il y’a des gens qui pensent peut-être comme ce monsieur. Puis au moment de sortir, elle est allée voir le chauffeur en disant qu’elle était vraiment désolée parce que tous les matins, quand elle prend le bus, il est obligé de s’arrêter et ça prend du temps. Mais le chauffeur lui a répondu : « On s’en fiche ! Ce n’est pas un problème ! ».  Elle a été tellement soulagée par la réaction du passager, qui a pris sa défense, et par la réaction du chauffeur. Mais elle s’est rendu compte que l’accessibilité physique dans le bus, ça ne pose pas de problème, mais il y a toujours cette barrière psychologique qui fait que certaines personnes sont capables de dire ce genre d’horreur. Quand j’ai entendu cette histoire, je me suis dis que ce n’était pas évident.

 

JFM : Vous avez donc rencontré des personnes atteintes d’un handicap. Quelles ont été leurs réactions quand vous leur avez dit que vous alliez créer « Perfect World » ?

 

Rie ARUGA  :  Le premier interlocuteur que j’ai eu quand j’ai commencé à réfléchir sur le sujet de « Perfect World » c’était ce fameux architecte en fauteuil roulant. Quand je suis allée le voir la première fois, pour lui dire que je voulais faire un manga sur le handicap et sur l’amour, et que je voulais que mon personnage principal, qui est un jeune homme en fauteuil roulant, puisse avoir des histoires d’amour. Il a trouvé ça étrange. Car lui n’arrivait pas à imaginer un lien entre fauteuil roulant et amour. Il disait : « Mais c’est bizarre ! ». Mais j’ai vraiment insisté, il faut que dans ce manga il y ait deux mots clés : handicap et amour. A la fin, il a donc décidé de m’aider et c’est ainsi qu’il a commencé à me parler de sa vie et à me donner des tas d’informations que je ne connaissais pas du tout. Il a donc vraiment collaboré avec moi. Mais au début, sa réaction était : « Quelle idée étrange ! »

 

JFM : Qu’est-ce qui vous a motivée à dessiner « Perfect World » ? Le point de départ ?

 

Rie ARUGA : L’initiative ne vient pas de moi-même ! C’est le rédacteur en chef du magazine de prépublication Kiss qui m’a contacté un jour pour me dire : « Est-ce que vous ne voudriez pas faire un manga sur le handicap et sur l’amour ? ». Au début je me posais plein de questions parce que c’est un thème assez délicat mais au fur et à mesure de mes recherches, j’ai été piquée au vif et j’ai décidé de me lancer. Mais au départ je ne connaissais vraiment rien sur cette thématique du handicap.

 

JFM : Est-ce qu’au final, « Perfect World » peut être lu comme une critique de la société japonaise ou peut-être comme un moyen d’interpeller l’opinion publique sur la discrimination des personnes handicapées ?

 

Rie ARUGA  : Je ne pense pas avoir fait un manga militant. En tout cas, consciemment, je ne critique pas la société car ce n’est pas mon rôle. Et je n’ai pas la prétention de faire un manga qui puisse bouleverser la société. Mais, pour écrire ce manga j’ai interviewé beaucoup de gens qui sont en situation de handicap. Evidemment, tous ces gens-là me racontent des anecdotes, des histoires où ils ont dû faire face à beaucoup de frustration et parfois beaucoup de méchanceté de la part de personnes valides et tout ça, je l’incorpore dans le manga. Forcément, ça peut être vu comme une critique mais ce n’est pas sciemment que je critique la société. Je ne me suis pas dit que j’allais réveiller les consciences. Ce n’est pas ça. Je ne fais que raconter ce qui se passe dans la réalité et après les gens prennent ce qu’ils veulent. En tout cas, moi ce que j’espère c’est faire bouger un peu les lignes, faire changer les mentalités, au moins parmi les gens qui lisent ma série. Je n’ai pas l’intention de changer la société, mais si parmi les lecteurs, ça peut changer leur regard vis-à-vis du handicapé, surtout s’ils peuvent considérer le handicap non pas comme quelque chose de monstrueux ou insurmontable, mais comme quelque chose de plus banal, si le handicap pouvait devenir quelque chose de plus familier et de plus banal, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire qu’ils se sentent moins mal à l’aise face au handicap, alors je serais déjà contente.

 

JFM : Le tome 9 est désormais disponible, mais pouvez-vous nous dire combien de tomes il nous reste-t-il à découvrir avant de connaître le dénouement de « Perfect World », dont je suis  sûre que la plupart des lecteurs espèrent qu’il sera heureux pour nos deux protagonistes principaux ?

 

Rie ARUGA : Je ne sais pas encore en combien de tomes ce sera terminé. Mais ce qui est sûr, c’est que je veux que ça ait une fin heureuse !

 

JFM : Merci beaucoup Rie Aruga !

 

Rie ARUGA : Merci !

 

« Perfect World », tome 9 disponible dès ce 4 juillet aux éditions Akata, 6,99€.

 

Photo : Rie Aruga ©2019 Japan FM.

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