Le Japon reconnait la discrimination des proches de patients atteints de lèpre

Une première au Japon ! Fin juin, le tribunal de Kumamoto condamnait l’état à payer des dommages et intérêts d’un montant de 370 millions de yens auprès de 541 membres de familles de patients atteints de lèpre pour discrimination. Le Premier ministre a annoncé ne pas faire appel de cette décision et vient d’offrir ses « plus sincères excuses ».

En condamnant l’état le 28 juin dernier, la cour de justice de Kumamoto a permis un nouveau grand pas en avant. Et ce n’est pas la première fois que le tribunal de Kumamoto condamne l’état au sujet de la ségrégation des patients atteints de lèpre ou maladie de Hansen, en 2001, ce même tribunal avait décrété que la loi de prévention contre la lèpre entrée en vigueur en 1907 puis abrogée en 1996 était anticonstitutionnelle ! Mais c’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un tribunal condamne l’état pour la discrimination de la famille de ces patients. Grâce au verdict de 2001, le gouvernement japonais s’était excusé auprès des anciens patients, mettant en place un système d’indemnités qui leur était destiné. Mais le gouvernement refusait à ce moment de reconnaître sa responsabilité dans la discrimination subie par les familles des personnes atteintes de cette maladie.  Si les traitements infligés à toutes les personnes atteintes de la lèpre étaient inhumains, leurs proches subissaient également la discrimination. Malgré les progrès de la médecine et la découverte de traitement curatif à l’étranger, le Japon a préféré fermer les yeux et continuer à considérer la lèpre comme une maladie incurable et très contagieuse (à tort puisque la maladie est donc curable et causée par une bactérie), et les préjugés ont perduré. Or une fois la maladie connue, les patients étaient internés de force en étant séparés de leur famille, et les membres de la famille d’une personne malade étaient eux aussi exclus de la société, perdant leur emploi, ne pouvant aller à l’école et ne pouvant se marier, à moins de rompre avec leur famille en changeant de nom. Certains étaient seulement des enfants à l’époque et ont été séparés de force de leur(s) parent(s) durant de longues années. Plus encore, le sujet était, et demeure toujours, un tabou.

Ce sont donc 561 membres de familles d’anciens patients qui ont attaqué collectivement l’état en 2016 réclamant  pour chacun d’entre eux une compensation de 5,5 millions de yens. Des plaignants à qui le tribunal de Kumamoto a donné raison, du moins à 541 d’entre eux, le 28 juin 2019, en déclarant que cette politique de ségrégation a créé « une sorte de structure sociale qui a soumis les proches des patients à un préjudice et une discrimination d’une majorité du public », ajoutant que l’état aurait dû abroger cette loi au plus tard en 1960. Le tribunal a donc reconnu que la politique discriminatoire à l’égard des personnes ayant la lèpre l’était également  pour leur entourage familial. C’est une première décision de justice en faveur des familles d’anciens patients atteints de lèpre dans l’histoire du Japon ! Quelques jours après ce verdict, le Premier ministre annonçait que le gouvernement ne ferait pas appel de cette décision, malgré quelques désaccords sur le verdict. Une annonce qui a apporté beaucoup d’espoir aux victimes de cette discrimination, d’autant plus que ce mercredi 24 juillet, plusieurs proches d’anciens malades ont pu rencontrer le Premier ministre Shinzô ABE qui s’est excusé au nom du gouvernement : «  je m’excuse sincèrement en tant que Premier ministre et représentant du gouvernement pour la peine et la souffrance que vous avez été forcés d’endurer pendant un long moment de votre précieuse vie. ». Il leur a expliqué également ce qui l’a conduit à ne pas faire appel en rappelant son rôle en 2001 : « Il y a dix-huit ans, j’étais impliqué sur ce sujet en tant que secrétaire général adjoint du Cabinet. Cette fois, en tant que Premier ministre, j’ai pensé que nous ne pouvions prolonger cette indescriptible souffrance que vous avez tous vécu. ». Il leur a également promis « le soutien de tout le gouvernement afin d’éradiquer la discrimination et les préjugés », mais aussi l’écriture d’une loi dès cet automne dans l’objectif d’indemniser l’entourage des anciens patients, incluant aussi ceux qui n’avaient pas osé porter plainte contre l’état. Certains estiment que cette reconnaissance est « un miracle », espérant à l’avenir la fin d’une discrimination profondément ancrée dans la société mais demeurent sceptiques en attendant que cette compensation du gouvernement voit véritablement le jour.

Car encore aujourd’hui, de nombreux proches d’anciens patients hésitent à parler. Il y avait bien d’autres individus concernés qui auraient pu se joindre aux 561 plaignants pour le procès mais qui ont refusé à cause du tabou. Si le verdict de Kumamoto a été en faveur des plaignants, ce n’était pas le cas ailleurs ces dernières années, comme en 2015 quand le tribunal de Tottori rejetait la plainte du fils d’une ancienne patiente. Le verdict du procès de Kumamoto et la décision du gouvernement sont alors des décisions « historiques » selon le terme d’un des plaignant qui permettront peut-être enfin  la fin des préjugés sur la maladie de Hansen et aidera peut-être ces personnes à sortir de leur silence.

 

Sources : The Japan Times, Mainichi Shimbun.

Photo : via site officiel du Premier ministre du Japon et son Cabinet ©Cabinet Public Relations Office, Cabinet Secretariat.

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