C’était l’information majeure de La Matinale du jour, relayée par nos réseaux sociaux ce week-end, le mangaka Jirô TANIGUCHI s’est éteint ce 11 février à l’âge de 69 ans.
Jirô TANIGUCHI avait la particularité d’être encore plus connu en France qu’au Japon, mais c’est peut-être parce que le mangaka était un adepte d’un style épuré dans le dessin, proche des codes de la bande dessinée franco-belge, -et finalement n’est-ce pas grâce à ce talentueux mêlange entre manga et bande dessinée que l’auteur aura marqué son temps?, raison pour laquelle son éditeur français, Casterman, le qualifie de « maître incontesté de la bande dessinée mondiale ».
Pourtant, bien que durant sa jeunesse Jirô TANIGUCHI dessinait beaucoup, il n’a pas fait d’études universitaire pour devenir mangaka. C’est assez tardivement, vers 22 ans, et en autodidacte que le jeune homme fait ses premiers pas en assistant des mangaka, dont Kazuo KAMIMURA. C’est avec ce maître qu’il découvre la bande dessinée européenne et ses codes dont il s’empare. Le jeune mangaka publie ensuite ses premiers mangas, son premier est « Kareta heya » (ou « la chambre rauque » pour la traduction française) en 1970, sur des thèmes variés mais le succès arrive avec « Au temps de Botchan » (« Botchan no jidai » en japonais) débuté en 1987, brossant un portrait de la société japonaise de l’ère Meiji à travers des figures intellectuelles de l’époque telles que l’écrivain Natsume SÔSEKI. Achevé en 1996, le mangaka reçoit nombreux prix dont le Grand Prix culturel Osamu TEZUKA en 1998. C’est aussi durant les années 1990 que le mangaka choisit de traiter de sujets plus « simples » dans ses mangas, préférant dessiner et écrire sur la vie quotidienne et les relations humaines, et son style se reconnaît désormais aisément par la nostalgie et l’humanisme qui s’en dégage. Il écrit et dessine nombreux mangas, dont une partie a été éditée en France et quels titres ! « L’homme qui marche » est ainsi un one shot paru dès 1995 aux éditions Casterman, dans lequel le mangaka nous invite à prendre le temps d’observer toutes les choses de la vie. Puis vint « le Journal de mon père » (titre original « Chichi no koyomi »), publié entre 2002 et 2003 en France (Casterman), un véritable voyage introspectif, tout en pudeur, à travers les souvenirs, pour lequel Jirô TANIGUCHI reçoit le Prix du jury œcuménique de la bande dessinée au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en 2001. Une autre grande œuvre en un seul tome, collaborative cette fois avec Masayuki KUSUMI, au scénario, reflète cet attachement aux choses simples de la vie et fait appel aux souvenirs tout en guidant ses lecteurs dans la cuisine japonaise, « Le gourmet solitaire », publié en 2005 en France, et qui reçut un tel succès qu’une suite est publiée en 2016 en France, « les Rêveries d’un gourmet solitaire ». C’est par ailleurs la raison pour laquelle Jirô TANIGUCHI avait fait une apparition sur les petits écrans français dans l’émission « De l’art et du cochon » sur Arte le 29 janvier dernier, pour évoquer « le gourmet solitaire » dans le restaurant du tout récemment étoilé Michelin Kei KOBAYASHI. Mais le plus célèbre de ses titres, du moins le plus vendu en France, demeure « Quartier Lointain », autre grand voyage introspectif et intimiste, où l’auteur s’interroge sur les rapports familiaux, pour lequel il reçoit de nouveau une récompense à Angoulême, cette fois le Prix du meilleur scénario en 2003 (pour le tome 1), et dont une adaptation cinéma a été réalisée par Sam GARBARSKI en 2010 et où le mangaka fait une apparition. Passionné de la bande dessinée, sujet sur lequel il ne cesse de s’instruire tout au long de sa vie, il collabore sur des ouvrages avec des dessinateurs français comme par exemple Moebius, dont le dessin a été un de ceux qui ont influencé Jirô TANIGUCHI, sur « Icare » (2005, Kana). Et s’il a manqué d’être le lauréat du Grand Prix 2015 du Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême, le prix a été attribué à Katsuhiro OTOMO, Jirô TANIGUCHI avait été célébré cette année-là de la première grande exposition monographique européenne qui lui est consacrée intitulée « Taniguchi, l’homme qui rêve », exposition qui a été présentée à Versailles l’année suivante. Selon Casterman, « ce sont sans doute les différentes expositions consacrées à son travail (…) ainsi que les réactions de ses pairs (…) et des lecteurs qui le comblaient de reconnaissance. ».
Loin des codes habituels du manga, Jirô TANIGUCHI lui-même s’étonnait de son succès et particulièrement celui qu’il a rencontré en France et pourtant c’est bien son talent à provoquer des sentiments rares grâce à des thèmes universels, à des dessins épurés et des récits poétiques, qui a contribué à sa popularité. Selon Benoît PETEERS, auteur de « L’homme qui dessine : Entretiens avec Jirô Taniguchi » (2012), « [Il] est devenu l’un des principaux passeurs entre le monde des mangas et celui de la bande dessinée. Mais il est surtout, tous domaines, confondus, l’auteur d’une des oeuvres les plus fortes et les plus universelles de notre temps ». Ce même auteur disait également au micro de France Culture en 2015 : « Jirô Taniguchi est l’homme qui a fait aimer le manga à ceux qui croyaient que le manga n’était pas fait pour eux. (…)». Jirô TANIGUCHI avait 69 ans et s’est éteint à Tokyo ce 11 février, des suites d’une longue maladie.
Sources : page officielle Casterman, France Culture, FIBD d’Angoulême.
Photo : « L’auteur de bande dessinée japonais, Jiro Taniguchi, pose au musée du Louvre en 2015. » ©AFP PHOTO/ Stéphane de Sakutin , source L’Express.