Alors que s’ouvrait lundi une réunion des Nations Unies pour négocier un traité d’interdiction d’armes nucléaires, le seul pays au monde à avoir été frappé de plein fouet par une arme nucléaire, le Japon, était absent de ces négociations, tout comme les cinq pays membres permanents, tous détenteurs d’armes nucléaires.
Lorsque l’ONU adopte définitivement peu avant Noël 2016 la résolution L.41, soit le processus permettant de déclencher des négociations afin d’interdire les armes nucléaires, puis les détruire, pour entamer des négociations dès le début de l’année 2017, on aurait pu croire à une bonne nouvelle. Parce que plus de 100 pays sur les 193 pays membres des Nations Unies ont voté en faveur des négociations, les débats ont commencé ce mois-ci et une conférence a eu lieu ce lundi 27 mars, mais c’était sans compter sur l’absence de plusieurs pays dont les 5 membres permanents qui avaient voté contre la résolution L.41 en 2016, et donc des 5 pays qui détiennent le plus d’armes nucléaires soit la France, la Chine, la Russie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ! Ces 5 pays détiennent à eux seuls la quasi-totalité du stock mondial d’armes nucléaires, un stock mondial détenu par 9 pays, comme vous pouvez le constater sur l’infographie réalisé par ICAN France et illustrant l’article. C’est donc peu étonnant, au regard de la volonté du Président actuel des Etats-Unis d’accroître l’arsenal nucléaire de son pays en totale opposition avec les discours de son prédécesseur, mais l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU a justifié l’opposition des Etats-Unis en ouverture de cette conférence ainsi : « En tant que mère ou fille, il n’y a rien de plus important que je souhaite pour ma famille qu’un monde sans armes nucléaires mais il faut être réaliste. ». Son homologue britannique a lui précisé face à la presse que c’est le souhait du Royaume-Uni que de voir un monde sans armes nucléaires mais « la meilleure façon d’arriver à un désarmement nucléaire mondial est via un désarmement multilatéral progressif, négocié étape par étape dans le cadre des accords internationaux existants ». La France a elle aussi justifié son opposition par la nécessité d’un processus fonctionnant par étape.
Ce qui est étonnant, c’est l’absence du Japon à cette conférence, anticipé déjà lorsqu’il a voté contre la résolution L.41. Si le pays n’est pas doté d’armes nucléaires, il est cependant le seul pays au monde à avoir subi les effets dévastateurs de la bombe atomique, à deux reprises. Les survivants, les hibakusha, ne cessent de réclamer un traité de non-prolifération et l’interdiction des armes nucléaires, plutôt que des excuses par exemple, n’hésitant pas à prendre la parole à plusieurs reprises devant les Nations Unies pour tenter de convaincre. La visite de Barack OBAMA en mai dernier sur le site d’Hiroshima au cours duquel il exprimait la même chose était pourtant une visite lourde en symbole. C’est ce qui rend ce refus incompréhensible voire hypocrite selon les termes de The Japan Times dans leur éditorial du 3 novembre. Setsuko THURLOW est quant à elle une hibakusha d’Hiroshima vivant désormais au Canada (son récit en anglais ici) était aussi présente à cette conférence. Elle avait 13 ans lorsque Little Boy ravage sa ville et ses habitants, et elle condamne son pays pour ne pas s’être engagé dans ces négociations, critiquant leur inaction qui ne fait que renforcer « le sentiment des hibakusha d’être en permanence trahis et abandonnés par leur propre pays ». Mais le Japon est également sous la pression de son allié américain, étant un des pays protégés par le parapluie nucléaire, et les tensions actuelles avec la Corée du Nord expliquent ce refus de négocier. En effet, rappelons les nombreux tirs de missiles effectués à intervalle régulière par la Corée du Nord : en 2016, 2 tests nucléaires et 20 missiles ont été tirés, et aussitôt condamnés par la communauté internationale comme toujours, avec pour seule conséquence jusqu’alors de la part de l’ONU une sanction économique que la Corée du Nord parvient à détourner. Plus récemment 4 tirs de missiles balistiques ont été effectués en mer du Japon en début de mois et visaient directement des bases américaines au Japon, renforçant un peu plus un climat de peur et de doute. Ce sont des raisons invoquées par les différents pays refusant les négociations pour ne pas y assister. D’autant que selon des images satellites datées du 25 mars, il semblerait que la Corée du Nord soit en plein préparatifs pour effectuer un nouveau test nucléaire.
Une absence remarquée du Japon, qui contredit un discours officiel souhaitant la fin des armes nucléaires. Précisons que le ministre des Affaires étrangères Fumio KISHIDA semblait plutôt enclin à ce que le Japon participe aux négociations, mais déclarait également avant la tenue de la conférence que la décision finale revenait au gouvernement et qu’engager des négociations sans la présence des 5 membres permanents, détenteurs qui plus est de la majorité des armes nucléaires, un traité d’interdiction des armes nucléaires n’aurait pas de sens. Une nouvelle réunion des Nations Unies devrait se dérouler en juin avant la fin de la première phase de discussion le 7 juillet où un traité sera peut-être adopté. Quand bien même ce traité verra le jour, il n’engagerait que les pays signataires et par conséquent les pays non-détenteurs d’armes nucléaires.
Sources : ONU, the Japan Times, NHK, Le Monde, Le Parisien.
Illustration : infographie sur les armes nucléaires dans le monde en 2015 ©ICAN France.