Nous vous en parlions fin août 2016, en nous demandant si la démocratie pouvait être menacée au Japon. Ce 23 mai, la Chambre basse a voté en faveur de la loi anti-conspiration, en dépit des manifestations et d’un avertissement du rapporteur spécial de l’ONU sur la vie privée.
Le Premier ministre japonais Shinzô ABE est en bonne voie pour faire promulguer sa loi controversée dite anti-conspiration (ou anti-complot) puisque ce 23 mai, les Représentants ont majoritairement approuvé cette loi pourtant critiquée par une partie de la population car jugée liberticide. Or, pour le gouvernement cette loi est nécessaire afin de lutter contre le terrorisme, et un des principaux arguments étant les Jeux Olympiques de Tôkyô. Autre argument employé par le gouvernement japonais, et non négligeable, pour justifier l’adoption de cette loi polémique : la convention de l’ONU contre la criminalité transnationale organisée (ou convention de Palerme, 2000) pour laquelle le Japon a réaffirmé son soutien début mars, et qui plus est, c’est le Japon qui recevra le prochain Congrès des Nations Unies contre le crime, en 2020 ! Pourtant c’est de la part d’un autre organe de l’ONU, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), que des critiques sont émises. En effet, le rapporteur spécial de l’ONU sur la vie privée, Joseph CANNATACI a publié une lettre, rendue publique sur le site du HCDH, au Premier ministre japonais. Il y exprime ses inquiétudes quant aux dérives que peut permettre cette loi. Car si la loi anti-conspiration permettrait au Japon de faciliter les échanges entre nations et donc une réaction plus rapide face au crime organisé, des définitions peu précises de la loi soulèvent de nombreuses questions, qui comme l’écrit Joseph CANNATACI « peut conduire à une restriction des droits à la vie privée et à la liberté d’expression ». Ce qui signifie que selon le rapporteur spécial de l’ONU, le texte peut être sujet à interprétation. Or ce texte prévoit de sanctionner tout groupe de plus de deux individus préparant un crime et il s’agit alors de réprimer le crime en bande organisée. Sauf que cette loi sanctionnerait également toute personne impliquée dans un groupe d’individus, soit par un financement, ou encore par tout préparatif en lien -une définition estimée vague- avec un des 277 crimes listés par cette loi et sanctionnerait aussi le(s) criminel(s) présumé(s) avant même que le crime ne soit commis. C’est dans ce contexte que Joseph CANNATACI a rédigé cette lettre ce 18 mai au Premier ministre du Japon. Une inquiétude qui se reflète aussi dans la population japonaise en atteste les manifestations qui se sont déroulées dans tout le pays, devant la Diète à Tôkyô comme d’Okinawa à Hokkaido. Car une partie de la population s’inquiète de leurs libertés individuelles exprimant un doute concernant le champ d’action et d’investigation de la police au regard du texte qui, selon les opposants comme Joseph CANNATACI, peut ouvrir la voie à des décisions arbitraires. Quoiqu’il en soit, il semble que le Premier ministre ait balayé d’un revers de main les critiques et les inquiétudes soulevées par tous ceux qui s’opposent à cette loi. C’est par la voix du Secrétaire général du Cabinet que réponse est donnée. Yoshihide SUGA a indiqué le 22 mai que cette lettre ne « reflétait que la position d’un individu et non celle de l’ONU ». Pourtant, Joseph CANNATACI ne porte-t-il pas la voix de l’ONU étant donné sa mission pour le HCDH, qui n’est autre que « le bureau principal des Nations Unies chargé de promouvoir et de protéger les droits de l’homme pour tous, et à ce titre, il dirige les efforts internationaux dans le domaine des droits de l’homme et se prononce objectivement sur les violations de ces droits dans le monde. » ?
La loi anti-conspiration est désormais entre les mains de la Chambre haute, qui est la seule dorénavant à pouvoir demander une réécriture, ou à rejeter comme approuver le texte. Mais, les décisions de la Chambre basse prévalent sur celles de la Chambre haute en matière de législation. Ce qui signifie que quand bien même les Conseillers rejettent le texte, ce dernier repasserait devant les Représentants, qui, pour que la loi soit définitivement adoptée, devraient voter de nouveau en sa faveur au 2/3 des Représentants présents. Les Conseillers étant majoritairement du Parti Libéral Démocrate grâce aux dernières élections, la loi pourrait de toute façon être promulguée dans les prochains jours. Précisons ici que parmi tous les pays ayant ratifié la Convention de Palerme, seuls deux pays sur les 187 pays signataires ont promulgué une loi domestique à l’image du Japon : la Norvège et la Bulgarie. Et de se poser une autre question pour tout individu quel que soit le pays (démocratique) où on vit : est-on prêt à sacrifier nos libertés individuelles au profit de la sécurité collective ?
Sources : Asahi Shimbun, Mainichi Shimbun, UNODC, HCDH.
Photo : Une manifestation contre la loi anti-conspiration devant la Diète, Tôkyô, ce 19 mai 2017. ©Mainichi Shimbun via Mainichi Shimbun.