Une lettre rédigée par un diplomate britannique à la mort de l’empereur Hirohito vient d’être rendue publique aux Archives Nationales britanniques. Cette lettre en dit long sur le rôle de l’Empereur dans la Seconde guerre mondiale. Mettra-t-elle fin aux polémiques ?
Ce que l’on sait aujourd’hui de la Seconde guerre mondiale et de l’empire du Japon à cette période tendent à nous faire intégrer l’idée que ce passé militaire agressif est de la responsabilité du pouvoir en place, soit à l’époque l’Empereur. De nombreuses polémiques existent, y compris chez les historiens, dénonçant l’absence de poursuite criminelle de l’Empereur et de la famille impériale. Ces historiens, et les pays voisins qui avaient subi l’invasion par l’empire du Japon, critiquent la disculpation de l’Empereur qui aurait été couverte par les condamnations des militaires, notamment ses ministres, comme criminels de guerre. C’est bien pour ces raisons qu’après la capitulation, et sur incitation du Général MacArthur à collaborer pleinement, l’Empereur prononce un discours historique dans lequel il déclara renoncer à sa nature divine –le Ningen Sengen prononcé le 1er janvier 1946– aboutissant plus d’un an plus tard par la promulgation de la Constitution du 3 mai 1947. L’Empereur n’est désormais plus qu’un « symbole de l’Etat et de l’unité du peuple ».
Or, aujourd’hui, les Archives Nationales britanniques ont déclassifié un certain nombre de documents incluant des documents concernant les Affaires étrangères. Parmi ces derniers, une lettre de l’ambassadeur du Royaume-Uni au Japon, John WHITEHEAD (en poste de 1986 à 1992), adressée à la Première ministre du Royaume-Uni Margaret TATCHER, écrite le 23 janvier 1989 soit quelques jours après le décès de l’Empereur, dévoilant plutôt l’inverse d’un empereur belliqueux.
Introduction de la lettre de John WHITEHEAD via Asahi Shimbun ©UK National Archives.
Extrait de la lettre de John WHITEHEAD mentionnant les jeunes années du Prince Hirohito. via The Japan Times ©UK National Archives.
Bien au contraire, cette lettre en dit long sur la personnalité de l’empereur Hirohito, appelé Shôwa à titre posthume. En effet, dans les extraits divulgués sur les sites des quotidiens The Japan Times et Asahi Shimbun, l’Ambassadeur britannique y indique que l’Empereur n’était pas fait pour le rôle qui lui était destiné. Du moins dans les premières années de sa vie, l’extrait divulgué décrit la vie et l’éducation du futur empereur jusqu’à 1921, année où le Prince héritier Hirohito effectuera un voyage de plusieurs mois en Europe, voyage qui fait du Prince le premier membre de la famille impériale japonaise à voyager à l’étranger ! C’est alors à son retour de ce voyage que le Prince héritier devient le Régent avant de monter sur le trône de chrysanthème en 1926. Mais les descriptions faites de l’éducation et des premières années de la vie du Prince héritier démontrent qu’Hirohito n’était pas vraiment intéressé par l’éducation militaire mais plutôt par la biologie marine. Plus clairement, dans le sommaire de ce long document, John WHITEHEAD a ajouté des notes manuscrites indiquant à la Première ministre : « You may like to glance at paragraphs 14-17 which deal with Emperor responsability for the war. » ( en français « Vous voudrez peut-être jeter un coup d’œil aux paragraphes 14-17 qui portent sur la responsabilité de l’Empereur durant la guerre. ». Si nous n’avons pas pu consulter le texte intégral, selon la presse japonaise qui a pu se le procurer, la lettre révèle surtout que l’Empereur, bien qu’alors Chef d’Etat et dieu vivant, n’avait au final que peu de pouvoir alors qu’il « n’était pas à l’aise avec la direction de la politique japonaise », John WHITEHEAD expliquant que « en théorie tout puissant, ses prérogatives étaient limitées dans les faits » et que « il a été finalement impuissant à arrêter … la dérive du Japon vers l’aventure militariste ».
Rappelons ici que l’Empereur a cessé de se rendre au sanctuaire de Yasukuni, où sont commémorés les Japonais et individus morts pour le pays, dès 1978, année où 14 criminels de guerre de classe A ont été enregistrés en secret. C’était alors une action incomprise par l’Empereur selon les notes divulguées en 2006 par l’intendant de la Maison Impériale. Et lorsqu’on étudie le présent, son héritier et successeur l’empereur Akihito refuse également de se rendre au sanctuaire et il tend également à prononcer des discours résolument pacifistes et dans lesquels il y exprime de « profonds remords » pour le passé militariste, aux antipodes des actions et déclarations du Premier ministre Shinzô ABE. Sauf qu’aujourd’hui, l’Empereur n’a plus aucun pouvoir politique, mais dans un contexte de tensions croissantes avec les pays voisins et la volonté de Shinzô ABE de réviser la Constitution, on se demande: l’Histoire peut-elle se répéter ? Et si l’analyse du diplomate est fondée, pour quelles raisons avoir infligé à l’Empereur le fait de n’être plus qu’un symbole si déjà avant la guerre son pouvoir politique était limité ? Selon les écrits de John WHITEHEAD, quelque soit l’opinion publique à l’égard de l’Empereur, il n’y a aucun intérêt à revenir en arrière et de lui redonner les pleins pouvoirs.
Sources : Asahi Shimbun, the Japan Times, Libération.
Photo : Extrait du rapport de l’Ambassadeur de Grande-Bretagne à la Première ministre Margaret Tatcher, via Asahi Shimbun ©UK National Archives.