L’hikikomori, ou lorsque des individus se mettent en retrait total de la société, une situation purement japonaise ? Comment ces individus en sont arrivés à se retirer de la société ? Nicolas TAJAN a consacré sa thèse sur le sujet, préfacée par Agnès GIARD et publiée aux éditions L’Harmattan depuis le 2 juin 2017.
Résumé officiel : Depuis les années 1990, un phénomène très particulier touche la population japonaise. Chaque année en effet, des centaines de milliers de personnes disparaissent. Appelé hikikomori, « retrait social », ce phénomène désigne des personnes qui, enfermées chez elles pendant plusieurs mois (au moins six mois), voire plusieurs années, se coupent du monde et n’ont plus aucune relation sociale.
Touchant essentiellement des individus entre 15 et 39 ans, le phénomène concernerait aujourd’hui près de 700 000 personnes, principalement des lycéens et des étudiants, mais également des employés et/ou des jeunes chercheurs d’emploi, qui n’arrivent pas à s’intégrer dans le monde qui les entoure.
Dans une société ultra-organisée et codifiée et où prévaut le collectif sur l’individu, les hikikomori bouleversent l’idée d’un Japon uniforme : une « génération perdue » et longtemps mal comprise, mais qui, de plus en plus importante, suscite le débat et interroge une société japonaise en perte de repères.
L’avis de Yuuki K. :
Ce n’est pas la première fois qu’un livre étudiant la question de l’hikikomori est publié en France. Mais ces publications demeurent sporadiques et il est rare de voir en rayon librairie que des travaux universitaires sont publiés. C’est le cas de « Génération Hikikomori » de Nicolas TAJAN, grâce à la collection Japon. Études du fait japonais aux éditions L’Harmattan, dédiée justement à la publication de travaux universitaires sur des faits japonais de chercheurs, quel que soit leur domaine de recherche. Plus précisément, il s’agit là d’un prolongement de sa thèse de doctorat en psychopathologie, présenté par l’auteur début 2014.
L’auteur justement, Nicolas TAJAN, s’intéresse à la question de l’hikikomori depuis plusieurs années, dès 2009, au point d’en faire le sujet de sa thèse mais aussi de travailler sur un rapport de recherches sur ce sujet pour le bureau du Cabinet du Japon et publié en 2016 par ce dernier ! C’est d’ailleurs la Fondation du Japon, entre autres institutions, qui lui a permis de partir au Japon et poursuivre ses recherches.
Quant à « Génération Hikikomori », l’auteur y brosse un paysage du hikikomori d’un point de vue de la psychologie, de la psychiatrie mais aussi anthropologique à travers le témoignage d’anciens hikikomori et de précédentes recherches scientifiques et sociologiques faites sur le sujet. Il redéfinit le hikikomori, précisant qu’il ne s’agit pas d’un otaku contrairement à certaines affirmations stéréotypées qui subsistent, et s’il s’agit d’une forme de rejet, ce n’est en aucun cas une idéologie. Il ne s’agit pas non plus d’une maladie, ni d’un symptôme d’une maladie. Non, il en résulte que le hikikomori est une situation exprimant une détresse dans laquelle un individu s’enferme, pour différentes raisons. Nicolas TAJAN y développe également les liens entre cette situation d’hikikomori et l’absentéisme scolaire (« futôkô »), puisqu’il s’agit d’une situation touchant principalement une tranche d’âge en particulier et que nombreux anciens hikikomori qu’il a rencontrés lui ont souvent mentionné « un épisode d’absentéisme scolaire » (introduction) sans pour autant affirmer que tous ceux qui refusent d’aller à l’école sont des hikikomori. Pour autant, il indique une voie de recherche pour de futurs travaux, n’étant pas en mesure lui-même de réponse à la question suivante : « Pourquoi certains deviennent hikikomori, alors que d’autres non ? » (p.299). Mais l’auteur s’interroge aussi sur l’existence du hikikomori en dehors du Japon, puisque des cas d’enfermements chez soi ont bel et bien été constaté, dans d’autres pays d’Asie comme en France. Toutefois, à des degrés moindres, et de plus, il s’avère que les causes et l’expression de ce repli sur soi sont différentes du hikikomori japonais, dus à la spécificité de la société ultra-codifiée du Japon ? Ce qui n’empêche pas Agnès GIARD, anthropologue et autrice, spécialisée sur la sexualité au Japon (« Les objets du désir au Japon », 2009 « Les histoires d’amour au Japon », 2012, tous deux parus aux éditions Drugstore), d’évoquer son trouble à la lecture de ces recherches, dans la préface de cet ouvrage sur la possibilité qu’en chacun de nous, un hikikomori sommeille : « on ne peut s’empêcher de se reconnaitre. Ou du moins la partie de soi qui est cloitrée. ».
Alors c’est sûr, certains auront du mal probablement à lire cette étude, car il s’agit de travaux de recherche, avec un vocabulaire bien spécifique sur plus de 300 pages, ce qui peut sembler indigeste ! Pourtant, la thèse de Nicolas TAJAN et les questions qu’il se pose au regard de ce phénomène sont plus qu’intéressants et captivants. D’autant que la presse au Japon comme en France s’est emparé du sujet dès 2011, se questionnant sur l’existence du hikikomori en dehors du Japon. Ainsi, The Japan Times interrogeait Nicolas TAJAN et ses collègues chercheurs travaillant sur cette question, en raison de l’apparition d’un phénomène similaire en France, dès 2011. Avant que la presse française ne s’y intéresse à partir de 2012, affirmant que le phénomène touchait désormais la France.
Informations pratiques :
Titre : Génération Hikikomori
Auteur : Nicolas Tajan, préface d’Agnès Giard, postface de Marie-Jean Sauret
Editeur : L’Harmattan
Collection : Japon. Études du fait japonais.
Prix conseillé : 37€
Où : Librairies et grands surfaces culturelles.
Photo : extrait de couverture de « Génération Hikikomori ». ©Nicolas Tajan/L’Harmattan