* En français, « Asahi Shimbun, meurs ». C’est ce qui a été twitté par Yasushi ADACHI, Représentant de la Chambre basse, le 11 novembre, en réponse à un éditorial du quotidien japonais Asahi Shimbun. L’occasion de revenir sur le scandale Kake.
Une réponse à un éditorial
La presse peut parfois profondément agacer la classe politique ! Preuve en est au Japon avec ce tweet agressif en date du 11 novembre de Yasushi ADACHI, Représentant à la Chambre basse et affilié au parti Nippon Ishin no Kai, en réaction à l’éditorial du journal Asahi Shimbun intitulé « Abe, Kake mistaken if they think scandal will go away » (« Abe et Kake se trompent s’ils croient que le scandale sera oublié ») publié le 11 novembre sur leur site. Dans cet éditorial, le quotidien met en garde le Premier ministre comme le dirigeant de l’institution Kake, car cette dernière avait obtenu la veille l’autorisation d’ouvrir l’école vétérinaire par le Ministère de l’Education, et ce en dépit des polémiques autour de son ouverture ! Rappelons qu’il s’agit d’un des scandales qui avait terni la côte de popularité du Premier ministre Shinzô ABE au premier semestre 2017 avec l’attribution du terrain pour l’école Moritomo Gakuen à Osaka, le poussant à remanier son gouvernement, puis ultérieurement à provoquer des élections législatives anticipées. Si ces dernières l’ont conforté dans sa position, ce n’est pas pour autant que les scandales ont été oubliés. C’est ainsi que suite à l’annonce du Ministre de l’Education donnant le feu vert à l’ouverture d’une école vétérinaire Kake à Imabari, département d’Ehime, l’Asahi Shimbun a publié cet éditorial.
Retour sur le fond du problème avec l’institution éducative Kake
Pour comprendre les sources de cette polémique liée à l’école Kake, il faut savoir que le Japon a systématiquement posé une restriction en ce qui concerne la création d’écoles vétérinaires dans le pays. L’ouverture de cette école Kake, prévue en avril 2018, sera donc une première en 52 ans comme l’indique l’Asahi Shimbun. Si le gouvernement a justifié l’ouverture de cette école par une forte demande, il s’avère que cette décision est contestée d’un côté par l’Association médicale vétérinaire du Japon qui estime que la décision devrait revenir plutôt au ministère de l’Agriculture, et d’un autre côté par l’opposition politique qui n’a cessé de clamer que si l’institution éducative Kake a obtenu l’approbation c’est grâce au fait que le dirigeant du groupe, Kôtaro KAKE, soit un proche du Premier ministre Shinzô ABE. Et c’est ce point qui avait fait émerger les critiques, le scandale Moritomo Gakuen aidant, puisque la presse japonaise avait publié des informations, sur la base de documents du ministère de l’Education prouvant bien que le Cabinet du Premier ministre avait exercé des pressions sur le ministère afin d’accélérer le processus, sans attendre les recommandations de la commission dédiée. Le Premier ministre a toujours nié son implication, puis a donné des réponses contradictoires face aux questions de la Diète cet été. En conséquence Shinzô ABE avait vu sa côte de popularité chuter brutalement selon plusieurs sondages (points n°2 et 3), perdu des élections importantes, puis remanié son gouvernement en août pour au final annoncer des élections anticipées de la Chambre basse fin septembre. Ce qui fait scandale ce n’est donc pas l’ouverture d’un centre de formation vétérinaire, mais bien la manière dont le groupe éducatif Kake a obtenu la validation pour ce faire. Et c’est ce que souligne l’Asahi Shimbun dans son éditorial, écrivant que le Premier ministre comme Kôtaro KAKE ne doivent pas oublier le problème en évitant de s’expliquer, et invite donc les deux concernés à répondre des accusations de trafic d’influence, comme le demande l’opposition et comme l’avait promis le Premier ministre selon le journal. Asahi Shimbun y écrit également que « l’approbation reçue pour l’ouverture de l’établissement au printemps ne fait rien pour dissiper les allégations selon lesquelles des responsables dans l’administration, agissant à « l’intention du Premier ministre », ont exercé des pressions sur le ministère pour approuver le plan. ». C’est dans ce contexte que Yasushi ADACHI a twitté cette phrase « Meurs, Asahi Shimbun », déclarant que l’éditorial constituait une diffamation de la part du quotidien.
Une personnalité publique, d’autant plus si elle est politique, doit-elle faire davantage attention au langage ?
Sauf que les termes employés ont fait polémique ! Après avoir posté sur Twitter, Yasushi ADACHI a reçu nombreux commentaires des utilisateurs du réseau social dont beaucoup de critiques, ce qui ne l’a pas empêché de poster d’autres messages par la suite accusant le journal de fabriquer des informations. En effet, ce type de langage peut-il être employé publiquement par un représentant politique ? Le principal concerné a reconnu ce 13 novembre auprès de l’Asahi Shimbun que les termes « n’étaient pas appropriés » mais le justifie par la colère provoquée par « les calomnies » publiées par le quotidien. Selon le journal, il se défend en invoquant un billet rédigé sur un blog en 2016, et devenu viral sur internet, par une mère anonyme qui protestait contre le fait que son enfant ne trouvait pas de place en crèche et avait alors écrit « Hoikuen ochita, Nihon shine !!! » (que nous pourrions traduire ainsi « N’ai pu trouver une place en crèche pour mon enfant. Meurs, Japon !!! »). Cette phrase avait alors fait l’objet d’un débat à la Diète, mais elle avait été écrite par une citoyenne anonyme pour dénoncer l’absence de places en crèche, et c’est par la suite qu’une élue avait, pour les mêmes raisons, utilisé cette phrase pour en débattre à la Diète. Des journalistes respectés au Japon ont réagi suite à cette affaire comme le journaliste et ancien rédacteur de Kyodo News, Osamu AOKI, qui considère que « les citoyens privés emploient une rhétorique violente pour décrire des situations terribles, mais l’utilisation de celle-ci par un membre de la Diète, un personnage public, ne peut être comparé à ça (en référence au blog de la mère anonyme). (…) Le langage est la chose la plus importante pour les politiciens. Un langage tel que ‘Meurs, Asahi Shimbun’ n’est pas approprié car il peut empêcher débat. ». Un autre journaliste, Akihiro OTANI a estimé dans le Mainichi Shimbun que « Il est très frivole pour un membre de la Diète de dire à une organisation de presse, ultime pilier d’un état démocratique, de ‘mourir’ ».
En réponse au tweet initial de Yasushi ADACHI puis ses tweets ultérieurs, la division des affaires publiques du quotidien japonais a publié une déclaration ce 14 novembre et que nous vous avons traduit : « Nous protestons fortement qu’un membre actuel de la Diète puisse employer un langage si violent pour réprimer nos activités journalistiques et critiquer nos activités. Nous ne pouvons l’ignorer, tout comme nous ne pouvons ignorer les critiques sans fondement qu’il n’a cessé de formuler, y compris ceux traitant nos rapports de « fabrication ». ».
Sources : Asahi Shimbun, Mainichi Shimbun.
Photo : capture écran du tweet de @adachiyasushi .