Vous êtes-vous déjà demandé comment un kimono est fabriqué ? Le tissu est-il teint ou est-il cousu ainsi ? Retour sur un artisanat millénaire qui se modernise pour survivre à travers l’exposition DENSAN sur le thème du Tissu d’exception.
La soie a occupé une place importante dans l’économie japonaise. Du moins, depuis l’Ouverture du Japon, période où l’exportation de la soie connaît un grand boom. Au point que peu de temps après, en 1871, une sériciculture devenait symbole de l’encouragement d’un artisanat : la sériciculture de la Maison Impériale de Momiji-yama, située au sein du Palais Impérial. Pour mieux pérenniser la popularité de la soie japonaise, l’élevage de Momiji-yama est alors placé sous le haut patronage de l’Impératrice Haruko (Shôko de son nom posthume). Jusqu’à aujourd’hui chacune des impératrices a perpétué cette fonction qui consiste à se rendre dès le printemps à l’été à la sériciculture pour participer activement aux différentes étapes, de l’élevage des vers à soie à la récolte. Mais depuis 1989, la soie connaît une perte de popularité. Signe de l’affection portée par l’Impératrice Michiko pour un artisanat pourtant en déclin, elle décide de perpétuer cette fonction, permettant même de sauvegarder une espèce de ver à soie typiquement japonaise en disparition, le koishimaru. Une décision qui s’avère très importante, car seule la soie produite par ces vers permettent la restauration de tissus anciens appartenant notamment à la collection impériale ! Mais de nos jours, sur 4 000 sériciculteurs que comptait le pays, seuls 10 sériciculteurs continuent de pratiquer le métier. Une situation inquiétante pour les artisans qui travaillent à partir de la soie à travers tout le pays, puisqu’à partir de cette soie sont produits les tissus les plus simples comme les plus somptueux. De Chichibu à Kyôto, trois ateliers labélisés DENSAN sont venus jusqu’à Paris pour présenter leurs techniques de teinture sur soie ou de tissage de la soie : Atelier Magnetic Pole, Hisatsune Yuzen et Atelier Kyogo. Et Atelier Magnetic Pole étant également éleveur de cocons, et ayant proposé un atelier ouvert au public à l’espace DENSAN, c’est l’occasion pour nous de revenir sur les différentes étapes depuis le cocon jusqu’aux tissus d’exception qui nous sont présentés en France !
Car pour obtenir un kimono, par exemple, il faut d’abord du fil de soie ! Et c’est à partir des cocons de vers à soie que vous pouvez en obtenir. En nourrissant les vers de feuilles de mûrier, Atelier Magnetic Pole obtient des cocons que les artisans vont filer après les avoir ramollis dans de l’eau à 80°C pour en décoller le bout du fil.
A partir d’un cocon on peut en tirer jusqu’à 1 500 m de fil de soie. Mais pour y arriver, mieux vaut avoir le matériel adapté et le savoir-faire, car cela prendrait des heures et des heures. Ce que les participants du workshop ont pu constater, invités à filer la soie à partir d’un cocon, à la main. ©2018 Japan FM.
Si les artisans utilisent plusieurs cocons en même temps pour l’étape du filage, de 80 à 100 cocons, le résultat donne un fil de soie extrêmement fin, presqu’invisible à l’œil nu, mais brut, un peu rêche au toucher, qui est affiné par la suite. De nos jours, les artisans emploient également ce fil brut pour d’autres objets de la vie quotidienne comme des serviettes. Mais revenons sur le fil brut qui passe par l’étape du raffinage pour ensuite passer à l’étape de la coloration puis au déliage des fils avant de passer à l’étape du tissage.
Démonstration de Kaga Yuzen par Toshiharu Hisatsune ©2018 Japan FM.
Lors de la démonstration à l’espace DENSAN, ce fût trois façons de mettre des couleurs sur le tissu qui ont été présentés au public et à la presse. Le Kaga yuzen de Kanazawa est une technique de teinture à la main sur soie ancienne de plus de 300 ans. Une technique qui s’apprend comme apprenti auprès d’un maître durant dix ans ! L’artisan de cet atelier, Toshiharu HISATSUNE, nous fait une démonstration de son savoir-faire. Il réalise d’abord un modèle des motifs sur un papier qui tel un calque se posera sur le tissu, préassemblé avant la teinture, puis transfère le croquis sur le tissu avec une teinture bleue. C’est ensuite que l’artisan colorise les motifs, un par un, au pinceau avec une minutie et une patience impressionnante. En effet, la réalisation d’un kimono prend en moyenne 2 à 3 mois depuis le tissu brut au résultat final ! Une technique en 12 étapes qui, contrairement aux apparences, peut pardonner quelques erreurs, grâce à l’existence d’un métier artisanal dédié, mais qui oblige à recommencer de zéro.
Le Nishijin-ori de l’Atelier Kyogo à l’espace DENSAN, ici zoom sur un mtofi en forme de grue sur un kesa ©2018 Japan FM.
Le Nishijin-ori de Kyôto est quant à lui une technique non pas de teinture mais de tissage de la soie avec des fils colorés, à la différence du Kaga yuzen, donnant un effet en plusieurs dimensions au tissu, ancienne de près de 1 500 ans, et dont le produit final était destiné à la noblesse et à la famille impériale. Plus impressionnant encore, les fils colorés sont cousus directement selon la forme du motif ainsi, le Kesa que l’Atelier Kyogo a rapporté en France présente par exemple des motifs de grue. Ces derniers sont directement dessinés grâce au tissage !
Enfin le Chichibu-meisen est une technique de tissage et de teinture propre à Chichibu existant depuis 2 000 ans ! Et si cet artisanat est tant ancré dans cette région c’est parce qu’elle n’est pas recommandée pour la riziculture car entourée de montagnes. Ce qui rend la région parfaite pour la culture des mûriers et par conséquent pour développer la culture des vers à soie. Grâce à la solidité du textile, cette technique de tissage était employée d’abord pour réaliser les vêtements du quotidien puis pour réaliser les étendards des samouraï ou encore les costumes des hauts fonctionnaires !
Boîte à thé selon la technique de Kaga yuzen par Hisatsune Yuzen présentés à l’espace DENSAN ©2018 Japan FM.
Exemple de tissus pour la décoration intérieure selon la technique du Nishijin ori de l’Atelier Kyogo à l’espace DENSAN ©2018 Japan FM.
Une de nos questions récurrentes lors des expositions DENSAN est: comment survivre alors que la modernité semble aller contre l’artisanat ? Dans le cadre des tissus présentés, si les techniques de fabrication et de tissage demeurent traditionnelles, ce sont les productions qui en découlent qui ont évolué! Ainsi Atelier Kyogo, autrefois producteur de kimono et obi de prestige mais aussi de Kesa, tunique de cérémonie somptueuse pour évènements spéciaux des moines, a décliné ce savoir-faire dans la réalisation de papiers peints, portes coulissantes, ou autres objets d’intérieur de luxe. Hisatsune Yuzen continue à teindre les tissus à la main, mais le support n’est plus seulement un kimono, puisque ses artisans dessinent et colorent également sur des boîtes à thé dont le résultat est d’un grand raffinement, ou encore sur des foulards en « super organza » voire des foulards en mélange de soie et polyester dont le résultat est splendide, évoquant largement la transparence des ailes de libellules grâce à la finesse du tissu, comme vous pouvez l’apercevoir sur la poto ci-dessous. Ce dernier faisait par ailleurs également partie de la sélection de l’artisanat du département d’Ishikawa présentée à la Maison de la Culture du Japon à Paris du 6 au 17 février dans le cadre de l’exposition « SYNERGIES ENTRE TRADITION ET MODERNITE : L’artisanat local japonais à la pointe de l’innovation » organisé par le Centre Japonais des Collectivités Locales à Paris (CLAIR Paris).
Foulards teints selon la technique de Kaga yuzen par Hisatsune Yuzen présentés à l’espace DENSAN ©2018 Japan FM.
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Photo : des cocons de soie de l’Atelier Magnetic Pole. ©2018 Japan FM.