FUKUSHIMA : sept ans déjà et un traumatisme toujours présent

Ce 11 mars 2018, le Japon commémorait les sept ans de la triple catastrophe de Fukushima. A 14h46, le pays a observé une minute de silence pour les victimes du séisme, puis du tsunami et de la catastrophe nucléaire qui en ont résulté.

C’est l’une des plus grandes catastrophes nucléaire de l’Histoire, et pourtant, que peut-on en dire sur un plan humain sept ans alors que le plan de démantèlement de la centrale se compte en plusieurs décennies ? Entre espoir d’un nouvel avenir pour la région dévastée, paroles encourageantes du gouvernement, mais aussi inquiétudes de la population, tour d’horizon de ce que révèle la presse sur la situation dans les régions atteintes par le puissant séisme du 11 mars 2011, catastrophe qui rappelons-le, avait provoqué le tsunami puis la catastrophe nucléaire avec un bilan de 15 895 morts, 2 539 disparus et 3 647 morts suite aux conséquences de cette catastrophe. Mais dans la région du Tôhôku, et malgré des doutes sur le réel confinement de la centrale de Fukushima Daiichi et de l’eau contaminée, la vie reprend son cours et des habitants font face au traumatisme. Lors des commémorations des sept ans, on pouvait ainsi lire des banderoles sur lesquelles étaient rédigées « Gambarô » (« courage » en français) à Ishinomaki, département de Miyagi. Signe d’une volonté d’aller de l’avant, le département de Fukushima s’érige désormais en département modèle voire pionnier dans les énergies renouvelables. Visant une alimentation énergétique uniquement grâce au renouvelable dès 2040, c’est dès 2014 que le département vise à se passer du nucléaire avec un objectif de 40% d’énergie renouvelable pour 2020. Un but presqu’atteint puisqu’en avril 2017, la part de cette énergie dans le département était de 28%. Si la vie tend à se normaliser dans la région du Tôhôku, il reste encore  à ce jour 73 000 personnes attendant de rentrer chez eux, et dont une bonne partie refuse de le faire, sur les 160 000 habitants évacués en 2011 (chiffre officiel du gouvernement), à cause de la catastrophe de la centrale de Fukushima Daiichi et ce, en dépit de la reconstruction des infrastructures et des maisons ainsi qu’un ordre d’évacuation levé depuis un an dans une bonne partie des régions. Ce qui dénote d’une parole gouvernementale contradictoire avec les préoccupations des citoyens. En effet, lors de la cérémonie commémorative à Tôkyô ce dimanche, le Premier ministre Shinzô ABE affirmait que son gouvernement va « bâtir un Japon résilient et fort qui résiste aux catastrophes naturelles » saluant au passage les importants efforts de reconstruction. Une résilience sur laquelle il compte afin d’imposer le retour des habitants dans des terres il y a encore peu contaminées ? Car si une partie de la population se méfie du gouvernement, et ce qui est dénoncé par des médias comme par des spécialistes, c’est non seulement en raison de la volonté du Premier ministre de relancer le nucléaire mais aussi à cause de l’implication dans la gestion de l’après-catastrophe d’Ethos, programme dédié à l’aide à la réintégration de la population en terre contaminée par la radioactivité qui avait fait ses preuves (ou non) dans la gestion de l’après-Tchernobyl -l’autre grande catastrophe nucléaire de l’Histoire ! Or, le gouvernement japonais s’appuie principalement sur Ethos pour persuader les évacués de rentrer, peu importe les incertitudes liées à la radioactivité, n’hésitant pas à mettre fin aux indemnités pour obliger alors certains évacués à rentrer faute de moyens.

 

Durant ces commémorations, était également présent le Prince Fumihito d’AKISHINO, avec son épouse. Le Prince a aussi tenu un discours dans lequel il indique sa profonde préoccupation pour la santé mentale et physique des personnes toujours évacuées, et notamment celle des personnes âgées. Car si certains habitants sont retournés chez eux lorsque l’ordre d’évacuation le leur permettait, d’autres ne l’ont pas souhaité, n’ayant pas confiance en la parole du gouvernement. Ainsi, dans le département de Miyagi, il manquait 3 195 enfants lors de la rentrée des classes élémentaires et de collège pour l’année fiscale 2016, un chiffre en augmentation de 362 enfants par rapport à l’année précédente. Des parents qui refusent de revenir avec leurs enfants en raison des incertitudes qui demeurent quant au niveau réel de la radioactivité et face à une hausse de cas de cancer de la thyroïde. Les tests permettant de les détecter n’étant réalisés que depuis l’année de l’accident de la centrale nucléaire, il n’existerait aucun moyen de comparer les statistiques, et d’après des médecins, rien ne permettrait d’affirmer un lien de cause à effet entre apparition d’un cancer de la thyroïde chez les enfants et la catastrophe nucléaire. Pourtant, d’après un rapport réalisé conjointement par deux organisations scientifiques militant contre le nucléaire, le prix Nobel de 1985 IPPN (International Physicians for the Prevention of Nuclear War) et PSR (Physicians for social responsability) en 2016, étaient recensés 116 enfants atteints de ce type de cancer à un stade avancé  dans le département de Fukushima, alors qu’à population identique, devrait être recensé un cas annuel en moyenne (fin 2017, l’Université de Médecine de Fukushima annonçait 159 cas de cancer thyroïdien). Au-delà des enfants, reste un autre sujet qu’est la prise en charge du traumatisme psychologique du 11 mars 2011. L’Asahi Shimbun  publie ainsi un éditorial allant dans le sens du discours du Prince Fumihito dans lequel le journal insiste sur la nécessité d’un suivi psychologique des survivants. Au même titre que les traumatismes de guerre, à l’image des habitants d’Okinawa toujours traumatisés par la longue bataille qui s’est déroulée sur l’île il y a 73 ans, ou encore à l’instar des hibakusha de Nagasaki et Hiroshima, certains habitants de la région du Tôhôku pourraient mettre des années avant de parvenir à raconter leurs histoires et que leurs cicatrices se referment, d’autant que la discrimination à l’égard des gens de cette région « irradiée » est très présente. Une souffrance morale qui peut s’atténuer grâce au patrimoine culturel local or ce sont aussi des traditions culturelles qui risquent de disparaître comme le souligne le Mainichi Shimbun. Les trois départements les plus impactés que sont Fukushima, Miyagi et Iwate sont le berceau de 2 000 faits culturels traditionnels et populaires dont certains font déjà partie de la liste du  patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, notamment des performances artistiques comme le taue odori, ou la danse de la plantation des rizières. Or suite à la triple catastrophe, il a fallu penser à la préservation de ces traditions puisqu’elles ne pouvaient être pratiquées ou parce que 800 potentiels successeurs pouvant pérenniser ces arts traditionnels avaient disparus. Si des fondations et associations se sont serrées les coudes pour participer à la sauvegarde et à la transmission de ces cultures dès le lendemain de la triple catastrophe, nul ne sait si la plupart de ces traditions parviendront à survivre dans le temps.

 

Pour en savoir plus, notez que le Premier ministre de l’époque, Naoto KAN, devenu depuis activement engagé contre le nucléaire, est en visite en France toute cette semaine. Après un discours plaidant en faveur de la fin du nucléaire face à l’Assemblée Nationale, il sera présent ce soir à Paris au cinéma les 7 Parnassiens, dans le cadre de la diffusion en avant-première du film « Le Couvercle du soleil » de Futoshi SATO au cours duquel un débat aura lieu.

 

Photo : le Premier ministre japonais lors des commémorations pour les 7 ans du grand séisme de la région du Tôhôku, en présence du Prince et de la Princesse d’Akishino. Via ©Japan Kantei.

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