On a lu « Perfect World » de Rie ARUGA du tome 1 à 6

Rie ARUGA aborde le sujet du handicap à travers un josei manga dont le tome 6 est paru début février aux éditions Akata. « Et vous, vous sentiriez-vous capable de vivre une histoire d’amour avec un handicapé ? »

C’est par cette phrase que « Perfect World » commence, en disant long sur ce qui va suivre. Il semblera peut-être difficile pour le lecteur d’y répondre par la négative dans un premier temps, car pourquoi une personne ayant un handicap ne pourrait-elle pas vivre une véritable histoire d’amour avec quelqu’un au même titre que n’importe quelle personne valide ?  Mais dans la réalité, c’est une situation qui n’est pas toujours si simple et le quotidien d’une personne atteinte d’un handicap moteur, puisque c’est de ce handicap dont il est question dans ce manga, n’est pas forcément rose. Selon les états de chacun, le handicap moteur peut s’avérer un poids puisqu’il peut bouleverser la vie quotidienne ne serait-ce que pour des trucs simples. Et ce n’est pas parce qu’en tant que valide, on fait fi du handicap que cela simplifie nécessairement la relation de couple. C’est ce que parvient à décrire Rie ARUGA dans « Perfect World ». Ce manga soulève la question du traitement du handicap en apportant un éclairage sur la réalité du quotidien d’un personnage qui se trouve dans un fauteuil roulant. Et si « Perfect World » est d’autant plus intéressant c’est notamment parce qu’au Japon, le traitement des personnes atteintes d’un handicap n’est pas joyeux, étant resté un sujet longtemps tabou, en atteste des études ces dernières années démontrant une discrimination importante ou encore en atteste une des pires tueries en masse du pays de 19 personnes atteintes d’un handicap dans une institution dédiée à Sagamihara en 2016 par un individu qui s’est ensuite rendu à la police en disant : « c’est mieux que les handicapés disparaissent. »,le tout dans une quasi-indifférence générale à une époque où on commente et s’indigne de tout sur les réseaux sociaux. Mais il faut comprendre aussi que la reconnaissance des personnes handicapées au Japon est tardive puisque ce n’est qu’à partir de 1993 qu’est mise en place une politique de reconnaissance des personnes en situation de handicap et, après l’avoir signé en 2007, ce n’est qu’en 2014 que le Japon ratifie la Convention internationale des droits des personnes handicapées.  Une situation assez paradoxale car si le handicap de nos jours est intégré dans la société japonaise à travers les infrastructures (rampes d’accès, métro et bus, signalisation etc…), la personne qui en est atteinte n’est pas incluse comme faisant partie de la société, et demeure toujours aujourd’hui marginalisée. Et pourtant, d’après un rapport du ministère de la Santé au Japon datant de 2015, on recensait 3,987 millions de Japonais atteints d’un handicap physique sur une population totale d’un peu moins de 127 millions.

 

Résumé T1 : Tsugumi Kawana retrouve par hasard un ancien ami du lycée, Itsuki Ayukawa. Si elle est heureuse de retrouver son premier amour de lycée, elle est choquée de découvrir ce dernier dans un fauteuil roulant, paraplégique depuis un accident qu’il a subi à l’université. Si elle ne sait pas trop comment se comporter avec lui au départ, Tsugumi finit par être admirative  d’Ayukawa et ses sentiments amoureux finissent par resurgir. Mais Ayukawa ne semble pas près d’accepter une femme dans sa vie amoureuse en raison de sa situation. Tsugumi finira-t-elle par le convaincre ?

 

Voici une bande-annonce par les éditions Akata pour la sortie de « Perfect World » :

 

 

 

Attention, si vous n’avez lu aucun tome de « Perfect World », on vous recommande de ne pas lire les lignes qui vont suivre, vous risquez d’être spoilé !

 

L’avis de Yuuki K. :

Sous fond de romance, puisqu’il s’agit d’un josei, la mangaka met sur la table un sujet délicat à travers la situation d’Ayukawa, brutalement devenu paraplégique suite à un accident. Ce dernier accepte mal les conséquences de sa condition physique, raison pour laquelle il refuse qu’une femme partage sa vie intime, amoureuse. Pourtant, une belle romance finit par naître entre Ayukawa et Kawana, grâce à la détermination de cette dernière.  Mais les choses ne sont pas simples, et c’est là où le lecteur peut y décrypter le regard de la société japonaise. Ayukawa est profondément blessé, physiquement comme psychologiquement, d’être à vie sur un fauteuil roulant. Il a alors de grandes difficultés à laisser Kawana l’aider véritablement dans les pires situations que lui impose sa condition. La jeune femme découvre alors une réalité insoupçonnée mais bien qu’elle soit prête à tout endurer pour l’homme qu’elle aime, Ayukawa, lui, perçoit son soutien comme une charge supplémentaire et ne veut plus lui imposer son quotidien de personne handicapée moteur. Rie ARUGA nous propose ainsi deux points de vue : celui qui est handicapé, et de celui qui est valide mais qui partage la vie du premier, sans inciter les lecteurs à prendre position pour l’un ou l’autre.  Elle ne néglige pas non plus le regard extérieur, celui porté par la société, parfois rude. Cela est décrit dès les premières pages du manga, dans le tome 1 par exemple, lorsque Kawana découvre qu’Ayukawa ne peut plus se mouvoir sans son fauteuil roulant, ses collègues commentent : « Mais sortir avec un handicapé, ça doit être l’horreur ! ». Kawana, elle-même, ne sait pas trop comment « bien » réagir face à Ayukawa !

 

Extrait du tome 1 de « Perfect World » © Rie Aruga / Kodansha Ltd.

 

Dans les tomes suivants, le regard de la société sur les personnes en situation de handicap s’éclaircit avec la réaction des parents de Kawana, apprenant la relation amoureuse de leur fille avec Ayukawa. Mais voilà, ceux qui estiment que vivre avec une personne en situation de handicap physique est un sacrifice, semblent avoir gagné puisque dans le 4ème tome de « Perfect World », Ayukawa et Kawana ont beau s’aimer mais cela n’est pas suffisant et se séparent.

 

Résumé du tome 6 : Kawana apprend qu’Ayukawa a refusé la demande de Keigo et Kaede et refuse d’accepter cette décision. Choisissant de se battre pour que le couple puisse réaliser leur rêve commun, elle décide de retourner à Tôkyô se confronter à Ayukawa pour lui faire changer d’avis alors qu’elle avait décidé précédemment de ne plus jamais le revoir.

 

Extrait de « Perfect World » tome 4 © Rie Aruga / Kodansha Ltd.

 

Comment les deux personnages vont donc évoluer ? Car après tout Kawana, bien qu’elle souffre pour Ayukawa non pas car il est en fauteuil roulant mais parce que lui souffre, accepte totalement sa condition physique, mais cela n’est pas suffisant, raison de la rupture. Or Kawana souffre de ne plus être avec l’homme qu’elle aime. Dans ce tome 6, chacun vit sa vie de son côté, mais la jeune femme a toujours des sentiments pour Ayukawa et le destin fait que les deux ex-amoureux se revoient. C’est même à cause de Kawana que les deux anciens amoureux se rencontrent de nouveau, la jeune femme trouvant que l’histoire de Keigo et Kaede fait écho à sa propre relation brisée avec Ayukawa. On ne peut s’empêcher alors, en tant que lecteur, d’espérer que Kawana et Ayukawa finissent par retourner ensemble, en pensant que les deux protagonistes ont droit au bonheur. Auront-ils droit à leur happy ending ? Il est assez intéressant de suivre ce que l’autrice compte faire de ses deux personnages principaux dans les prochains tomes : leur donnera-t-elle une chance de trouver le bonheur ensemble ou finiront-ils par trouver le bonheur séparément ? Car finalement la question n’est pas tant de savoir si Ayukawa a droit au bonheur, il est évident qu’il y a droit. Au-delà de savoir si on serait prêt à vivre avec un individu handicapée, il s’agit surtout pour ce dernier, du moins pour Ayukawa, de savoir s’il est capable de s’accepter et à faire abstraction de ce qu’il considère comme un « fardeau » lié à sa propre condition pour aimer véritablement.  Le cliffhanger de la fin de ce tome 6 nous laisse néanmoins présager le pire mais, pour avoir la suite, il vous faudra un peu de patience puisque le tome 7 n’est annoncé que pour juillet 2018 !

 

Du tome 1 au tome 6, « Perfect World » est un manga que nous recommandons ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un des rares mangas à aborder le handicap. Rie ARUGA mêle avec brio drame et humour tout en se concentrant sur la description des relations humaines dans « Perfect World » pour traiter le sujet du handicap moteur. « Perfect World » a l’intelligence d’inciter le lecteur à réfléchir sur la question, et s’il semble s’adresser en premier lieu aux Japonais, est un sujet universel. Après tout, si la discrimination telle que pratiquée au Japon semble ne pas être la même en France, le handicap, tous types confondus, concerne 12 millions de Français (sur plus de 67 millions) et reste, par exemple, encore très peu visible dans les médias.

 

Informations pratiques :

Titre : Perfect World

Auteur : Rie Aruga

Traduction : Chiharu Chûjo

Editeur : Akata

Date de sortie T6 : 8 février 2018

Date de sortie T7 : juillet 2018

Prix : 6,95€

Public : adolescents et adultes

Où : librairies et grandes surfaces culturelles

 

 

Visuel : extrait de couverture du tome 1 de « Perfect World » © Rie Aruga / Kodansha Ltd.

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