Le karôshi désigne la mort par épuisement causée par le surmenage au travail. Après plusieurs décès d’employés, largement relayés par les médias nationaux comme internationaux, le gouvernement planche sur une nouvelle loi afin d’y remédier. Mais la proposition, débattue à la Diète ces dernières semaines, fait polémique.
Depuis la fin janvier, les membres de la Diète débattent autour de la proposition de réforme de la loi travail du Japon. Un projet de loi évoqué depuis 2016 et une nécessité au vu des scandales à répétition autour des nombreux décès dû à l’excès de travail, karôshi. D’autant plus que le chiffre est en augmentation, hélas. Dans un rapport 2017 du ministère de la Santé, du Travail, et des Affaires sociales, le livre blanc sur les mesures de prévention du karôshi, il y est recensé sur l’année fiscale 2016, 191 décès par surmenage au travail, 107 suite à un arrêt cardiaque ou cérébral et 84 après avoir développé des troubles psychologiques les menant à la mort pour ces mêmes raisons (pour l’année fiscale 2015, 96 décès par arrêt cardiaque ou cérébral et 93 par des troubles mentaux pour un total de 189 karôshi). Or, le temps de travail est encadré par la loi sur les normes de travail règlementant le travail des employés (hors membres de la direction et cadres dirigeants). Selon l’article 32 de ce texte : « un employeur ne peut obliger son employé à travailler plus de 40 heures par semaine » en précisant que l’employé « ne doit pas travailler plus de 8 h par jour ». Si cet encadrement est une base, le salarié a aussi la possibilité de faire des heures supplémentaires, limitées en théorie à 45 heures dans le mois, sous peine de pénalités pour l’employeur. Mais dans les faits, notamment dans le cas où une entreprise a besoin que ses employés travaillent davantage durant une période particulière et selon les accords signés au sein de l’entreprise, les heures supplémentaires peuvent être étendues jusqu’à 100 heures mensuelles. Or, comme relayé par la presse japonaise et étrangère ces dernières années, cette limite est loin d’être toujours respectée, d’où la nécessité d’une réforme du travail. Seulement, si la proposition de loi est étudiée depuis plus d’un mois, c’est dès les premiers jours de débats qu’un élément de la réforme a créé la polémique suscitant les critiques de l’opposition.
En effet, lorsque le Premier ministre a tenté de défendre son projet de réforme fin janvier devant une commission budgétaire de la Chambre basse, débat qui avait été télévisé et donc rendu public, il s’est servi d’une étude réalisée par le ministère de la Santé, du travail et des Affaires sociales datant de 2013 qui se sont avérées erronées ! Il défendait alors, étude à l’appui, l’idée d’étendre un mode de rémunération de travail à d’autres secteurs d’emploi, le système de travail discrétionnaire selon lequel les employés sont rémunérés pour un nombre d’heures fixes plutôt que de les rémunérer comme la plupart actuellement selon le nombre d’heures effectuées. A la différence du mode de rémunération classique selon lequel un employé est rémunéré selon le nombre d’heures effectuées, le système de travail discrétionnaire n’est possible que pour des métiers bien spécifiques dans 19 secteurs définis selon un critère approuvé par le gouvernement, comme les avocats ou les architectes, qui sont alors rémunérés sur leur performance globale et non sur les heures travaillées. Cette proposition a été immédiatement critiquée par l’opposition puisque non seulement cette méthode de rémunération ouvrirait la porte à des dérives, telles qu’inciter un employé à effectuer tout de même des heures supplémentaires sans que celles-ci ne soient rémunérées, ce qui, selon Jake ADELSTEIN dans un article pour Forbes, est déjà constaté dans certains secteurs pratiquant ce système de rémunération comme le jeu vidéo, mais aussi parce que les données mentionnées ne pouvaient être utilisées telles que présentées. Car le rapport en question comparait deux profils d’employés : ceux employés selon un système de travail discrétionnaire et ceux selon le système classique. Selon le Premier ministre, le premier système offrait plus d’avantages que le second puisque selon le rapport, les employés selon le premier système effectueraient en moyenne bien moins d’heures supplémentaires qu’un salarié classique. Sauf que, la méthode pour collecter les données au sein de ces deux système n’a pas été la même et que par conséquent le Premier ministre ne pouvait alors pas comparer les deux systèmes. S’il s’en est excusé publiquement le 14 février dernier, ils ‘avère qu’ensuite plus d’une centaine d’erreurs ont été relevées dans l’étude émanant du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales japonais, obligeant Shinzô ABE à s’excuser une nouvelle fois le 23 février dernier avant que le Ministre du Travail ne reconnaisse finalement le 27 février 233 erreurs supplémentaires dans le rapport.
Sous la pression des polémiques, le Premier ministre a finalement rétracté ce 1er mars cet élément important de sa réforme du travail qu’est l’extension du système de travail discrétionnaire à d’autres secteurs de travail. Le Premier ministre ne pouvait en effet continuer à vanter les mérites d’un système en n’ayant que pour principal argument cette étude faussée. Mais le plus gros problème relevé par la presse est surtout que le Premier ministre s’est reposé sur cette étude durant ces trois dernières années et que pour le public comme pour l’opposition, Shinzô ABE devrait donc revoir de zéro sa proposition de réforme de travail. Néanmoins, il semble que le Premier ministre souhaite tout de même que sa réforme du travail, amoindrie donc de la proposition d’étendre le système de travail discrétionnaire, passe lors de la session actuelle de la Diète, soit avant le 20 juin prochain. Au Japon, le problème du karôshi et des entreprises abusant de leurs employés est tel qu’il existe un Black Company Awards, « récompensant » les pires entreprises de l’année. Si l’an passé DENTSU était élu l’entreprise la plus maléfique de l’année, en 2017 la Most Evil Corporation of the Year est Hikkoshisha Co., une société de déménagement. Parmi les 9 nommés se trouvait NHK. La chaîne de télévision, sous la pression des parents de la victime, avait révélé en octobre 2017 la mort après un arrêt cardiaque d’une de ses journalistes, Miwa SADO, survenue en 2013 après avoir effectué 159 heures supplémentaires dans le mois. Elle avait seulement 31 ans.
Sources : The Japan Times, Mainichi Shimbun, Asahi Shimbun, Forbes.
Photo : Cérémonie d’ouverture de la 196ème session ordinaire de la Diète en présence de l’Empereur du Japon, à la Chambre des Conseillers le 22 janvier 2018. Via site officiel du ©Shugiin All Right Reserved.