Hideto IWAI, ancien hikikomori, se prépare à revenir pour Japonismes 2018

Hideto IWAI était venu présenter pour la première fois en France « Le hikikomori sort de chez lui » sur la scène de la MCJP, au mois de mars. Entre conférence et interview, il se confie sur son passé de hikikomori et évoque sa création à venir pour le T2G !

Un passé source d’inspiration pour le théâtre 

Hideto IWAI a commencé sa carrière d’acteur, auteur et metteur en scène en fondant sa compagnie théâtrale, hi-bye, en 2003. Pourtant le pari n’était pas forcément gagné puisqu’ à l’âge où la plupart des jeunes s’amusent et passent du temps hors de chez eux, Hideto IWAI, lui, était reclus chez lui, un hikikomori, de ses 16 à 20 ans. La raison ? Hideto IWAI explique que sa mère était très protectrice mais qu’à l’inverse son père était très autoritaire et violent. Ce tempérament marque celui du jeune Hideto qui se rend un jour compte qu’il est lui-même agressif et violent envers son entourage « juste pour obtenir satisfaction », notamment lorsqu’un de ses amis riposte ! Hideto IWAI réalise que les autres ont également des émotions. Il cherche d’abord à mieux comprendre ce monde extérieur mais c’est un échec et c’est ce qui pousse l’adolescent à s’enfermer chez lui. Il passe alors son temps devant la télévision, sa mère, psy, l’ayant abonné au câble afin qu’il ne soit pas totalement coupé du monde, ou joue beaucoup aux jeux vidéo. Néanmoins, Hideto IWAI rêve d’un avenir dans le cinéma ou le catch pensant que de toute façon, un jour, « tout finirait par s’arranger naturellement ». Jusqu’à ses 20 ans, où le jeune homme, réalisant qu’il avait perdu des années à ne rien faire, pense au suicide et envisage de se défenestrer. Heureusement la peur le gagne, et à l’aide de sa mère, se tourne vers le théâtre et s’inscrit à l’université pour l’étudier, tout en aidant d’anciens hikikomori avec des associations. C’est ainsi qu’il  a fondé sa propre troupe et qu’il s’est mis à mettre en scène son propre passé dans sa première pièce « Hikky Cancun Tornado ». Un grand succès puisque la pièce était en tournée au Japon pendant 10 ans ! Depuis, ce sont plusieurs pièces, certaines issues de son passé, d’autres à partir de témoignages collectés d’autrui, qui ont été présentées au public. L’ancien hikikomori qui n’arrivait pas à saisir le monde extérieur parvient à raconter et à mettre en scène ses blessures ainsi que différents aspects de la société de manière profonde, émouvante, touchante et drôle. Humaine. Si le passé de hikikomori semble loin désormais, Hideto IWAI regrette-t-il s’être enfermé durant 4 ans ?  Il nous répond : « Les deux ! De l’âge de 16 à 20 ans on profite généralement de la vie ! Pendant ces 4 ans j’étais comme congelé, immobile sur mon futon. Mais, j’ai vécu dans l’angoisse de devoir sortir donc une pression totalement différente d’aujourd’hui. Heureusement, aujourd’hui je me dis que je suis sorti. Comme aujourd’hui ma personnalité a changé ainsi que mon image, j’ai dû tuer quelque chose d’important en moi-même. A l’époque j’avais une gentillesse ou une sensibilité extrême, je me souciais profondément des autres. Et quand on est pris par cette idée, on est terrifié, crispé. Donc j’ai dû délaisser cette douceur envers autrui, et c’est grâce à ça que je peux présenter, de façon égocentrique, mon histoire. Du coup il a fallu que je devienne plus léger, oublier mes obligations, devoirs et soucis. Je me dis que c’est grâce à cette expérience,  ces pensées-là qu’aujourd’hui je peux créer une pièce. ».

 

« Le hikikomori sort de chez lui » et va même jusqu’en France !

 

Le 15 mars dernier, l’ancien hikikomori a fait le voyage jusqu’à Paris, à la MCJP, pour présenter pour la première fois en France la pièce « Le hikikomori sort de chez lui », suite de la pièce « Hikky Cancun Tornado ». Un succès puisque la salle affichait complet sur les trois jours de représentation ! Hideto IWAI nous livre les impressions du public sur sa pièce, expliquant que beaucoup venait lui dire après la représentation que le phénomène hikikomori n’existait pas en France, tandis que d’autres sont divisés sur la question. [Ndla : en réalité, la presse française s’intéresse depuis 2012 à l’émergence des hikikomori français]. Hideto IWAI se demande alors : « En fait, les Français semblent divisés donc, peut-être, est-ce un sujet tabou comme au Japon ? ». Il précise ce qui pousse une personne à devenir hikikomori  : « Dans ma pièce, j’essaie d’expliquer que le hikikomori n’a pas de problème mais qu’il ne peut s’adapter à ce monde déjà établi, un point de vue partagé par beaucoup de Français. Ne pas sortir est un fait, ce n’est pas un manque, cela dépend des gens que de pouvoir vivre confortablement à l’extérieur. ». L’accueil de sa pièce par le public français a donc été très agréable car « c’est un thème universel que [je]voulais partager ». D’ailleurs la pièce met en scène plusieurs hikikomori, démontrant qu’il n’existe pas un profil du hikikomori et l’un d’entre eux est extrêmement touchant et connaît une triste fin, Kazuo (Ndla : Kazuo est un hikikomori depuis 20 ans. Dans la pièce, il est en bonne voie pour sortir, la difficulté étant qu’il soit trop perfectionniste et trop exigeant ). Des personnages tous inspirés par les rencontres en foyer. Il nous raconte la construction de ce personnage : « C’est moi Kazuo. En parlant avec les hikikomori que j’ai rencontré dans ce foyer, ce sont des points communs que d’essayer d’être trop perfectionniste et d’avoir peur de la réaction des gens, une peur absolue de ne pas être en osmose avec les autres. C’est une peur énorme pour les gens et je l’ai partagé avec d’anciens hikikomori. (…). Au début quand j’ai commencé le théâtre, j’ai voulu parler de moi-même ou des hiki en eux-mêmes. Au fur et à mesure, je me suis aperçu que j’ai voulu mettre la lumière autour des hikikomori, comme le père de Kazuo ou celui de Taro, peut-être parce que je suis devenu père aussi. ». Une pièce qui décrit aussi une forme d’absurdité du système et dans laquelle, le public comprend que sortir n’est pas synonyme de bonheur. N’y-a-t-il pas un risque de redevenir hikikomori un jour ? « Pour l’instant, non je ne crois pas. J’ai déjà réfléchi à ça, comme Kazuo. C’est très dur de se soucier des choses qui ne sont pas encore arrivés. Là nous sommes dans le monde réel. Si par exemple, vous ne comprenez pas ce que je dis, soit je dois faire un effort pour me faire comprendre, soit je renonce à me faire comprendre. Des situations très simples. Si je reste cloîtré chez moi et que j’imagine qu’une personne française me pose des questions et qu’à la traduction je n’arrive pas à me faire comprendre, cette angoisse s’étend à l’infini ! Et là je me dis que le monde réel est beaucoup plus simple car les possibilités sont nombreuses. Je ne veux plus retourner dans ce mi-clos car on se noie dans ses illusions et ses peurs.  Le monde réel, on arrive à rigoler en parlant de choses improbables ! Avec le théâtre je suis sauvé car je raconte tous mes délires, et les gens peuvent me dire après la pièce que c’est un sentiment partagé, pour moi c’est un sauvetage. » nous répond Hideto IWAI .

 

Un retour en France pour Japonismes 2018, puis le cinéma ?

 

Si « Le hikikomori sort de chez lui » était une parfaite introduction au travail d’Hideto IWAI, c’est parce que le metteur en scène reviendra dans quelques mois en France, pour Japonismes 2018 ! Il est en effet annoncé dans le programme officiel. Hideto IWAI a été invité par le Théâtre de Gennevilliers (T2G) pour une création concept annoncée entre le 22 novembre et le 4 décembre 2018 ! L’auteur et metteur en scène nous explique alors qu’il s’agit d’une pièce jouée avec des professionnels mais aussi des amateurs, habitants de la ville. Une préparation débutée dès 2017 puisqu’Hideto IWAI était déjà venu deux fois en France pour faire des recherches et aller à la rencontre des gens. Il est ainsi parti de l’idée suivante « faire parler chaque personne,  de ce qui leur est arrivé. ». Mais à neuf mois de la représentation, Hideto IWAI semble hésiter encore sur certains détails, en raison des différences culturelles entre la France et le Japon : « Je pensais qu’on n’avait pas besoin de mon propre regard ou de mon histoire, maintenant j’hésite. Soit j’écris quelque chose sur moi-même même si je n’apparais pas sur scène… Comme on est vraiment différent entre la France et le Japon, ça peut intéresser les Français de savoir comment on est au Japon ! » donnant un exemple simple sur ces différences culturelles : «  Au Japon, quand tu dis que tu ne prends pas plaisir d’aller à Disneyland, on est minoritaires. Mais à la rencontre à la MCJP, c’est plutôt l’opposé ! On m’a dit « Pourquoi s’amuserait-on à Disneyland ? » ! ». Lors d’une conférence à la MCJP, Hideto IWAI mentionnait  aussi qu’en travaillant avec des Français, il a constaté que ces derniers ont plus de facilité à formuler et à analyser, à la différence des Japonais. Mais à l’ancien hikikomori, nous lui demandons si la participation à Japonismes 2018 représente un défi. Pas du tout ! Il s’explique : « Je n’ai pas cette notion d’être sorti d’un pays et d’avoir traversé les océans. Même au Japon, j’ai ces deux catégories : je parle pour moi-même ou je parle pour les Japonais. Je n’ai pas cette ambition de faire partie de ces grands évènements, pas du tout de notion ! J’ai tant souffert que mon point de départ c’est : écoutez-moi ! La pièce du T2G c’est ça. ». Avant la représentation de cette nouvelle création, peut-être aviez-vous remarqué Hideto IWAI au cinéma ? En effet, il avait joué le rôle de l’éditeur de Sachio, Hideto Kuwana, dans « The Long excuse » (« Nagai Iiwake » de Miwa NISHIKAWA, sorti dans nos salles françaises fin novembre 2017. Car ce rêve de cinéma lorsqu’il était adolescent demeure toujours présent en lui. Hideto IWAI a ainsi fait ses premiers pas au cinéma en tant qu’acteur mais aussi en tant que réalisateur il y a trois ans. Après avoir commencé par des courts-métrages, il aimerait dans deux ans réaliser un long métrage. Et pourquoi pas parler des hikikomori au cinéma ? Cela devient un débat avec le metteur en scène car Hideto IWAI veut traiter de sujets universels, or pendant longtemps le hikikomori était un phénomène typiquement japonais. Mais, ces dernières années ce phénomène s’est répandu en Asie. Hideto IWAI a « l’impression que c’est surtout dans les pays où l’image du père est très figée, quand la figure paternelle est très forte »  tandis qu’en France « il y a moins cette pression je pense qu’au Japon. Alors, peut-être la pression y est moins forte pour un homme qu’en Asie. ». Je lui dis que depuis 2012 des journalistes écrivent sur l’émergence du hikikomori français, et plus largement en Europe. Surtout que l’Europe n’est pas épargnée par le burn out, ce qui, bien qu’il s’agisse de deux phénomènes distincts, nous lance dans une discussion sur le karôshi. Puisque le hikikomori s’enferme pour refuser les normes et la pression sociale, et c’est donc aussi un refus du burn out ou du karôshi. Le futur réalisateur m’indique alors « Au Japon, c’est certainement une des causes du hikikomori, car on n’a pas envie de mourir du karôshi. Quand on a commencé à critiquer les hikikomori, je me posais des questions car on les pointait du doigt alors que justement ils refusent le karôshi ! ». Prenant alors note que le phénomène hikikomori était installé non seulement en Asie mais aussi ailleurs dans le monde, Hideto IWAI termine sa réflexion sur son premier long-métrage et sur le hikikomori en France : « Alors ce sera le thème de mon film ! (…) La première au moins pour marquer le coup ! Peut-être qu’on n’en parle pas en dehors de la famille ? Les Français sont très doués pour s’exprimer, donner leur ressenti ou leur analyse. Est-ce que tout le monde arrive à faire ça en France ? Peut-être qu’il y a des gens qui ne sont pas comme ça,  ne s’expriment pas, mais ressentent des choses dans leur coin, sans sortir.  Finalement on n’entend que ceux qui parlent ! Moi aussi, je parle beaucoup. J’espère que je ne dérange pas les gens qui n’arrivent pas à s’exprimer. ».

 

Hideto IWAI, création contemporaine et mise en scène pour le T2G du 22 novembre au 4 décembre 2018.

Plus d’informations à venir dans votre agenda.

 

 

Photo : Hideto IWAI dans « Le hikikomori sort de chez lui » via MCJP ©Nobuhiko Hikichi

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