C’est à l’occasion de la diffusion de documentaires de la NHK WORLD-JAPAN, nouveau nom de la chaîne de télévision internationale japonaise , à la Maison de la Culture du Japon à Paris, que nous en découvrons un peu plus sur Jakuchû ITÔ. Un peintre, dont la plupart des œuvres appartiennent à la collection de l’Agence de la Maison Impériale, et rarement exposées au public, y compris au Japon. Ainsi, le pays du soleil levant commémorait durant un mois en 2016 les 300 ans de la naissance du peintre avec une grande exposition « The 300th Anniversary of his Birth: Jakuchu » au musée d’art métropolitain de Tôkyô. Un évènement puisqu’il fallait en moyenne attendre 3h30 pour accéder à l’exposition et qu’en 4 semaines, le peintre a attiré plus de 400 000 visiteurs ! Mais il est demeuré un peintre méconnu en Occident, où on lui préfère les estampes d’Hokusai par exemple. Et pourtant, Jakuchû a un tel talent, si unique, qu’il est surnommé « l’homme à la main divine » comme l’indique Manuella MOSCATIELLO, commissaire de l’exposition à venir pour Japonismes 2018, « JAKUCHÛ (1716-1800) Le Royaume coloré des êtres vivants » au Petit Palais. C’est donc un avant-goût de l’œuvre de Jakuchû ITÔ, mais surtout des gros plans sur des œuvres inaccessibles au public, que nous découvrons à travers le documentaire de la NHK WORLD-JAPAN « JAKUCHÛ : The Divine Colors ». Un privilège quand on sait que l’exposition qu’accueillera le Petit Palais est une première en Europe sur cet artiste (les 30 rouleaux n’ayant voyagé qu’une seule fois c’était en 2012 à la National Gallery à Washington) et dont quelques œuvres seront en dehors du Japon pour la première fois au monde !
Et ce qu’on découvre du peintre est non seulement mystérieux mais surtout fascinant. Mystérieux puisque rien ne sembler destiner Jakuchû ITÔ à devenir peintre et que peu d’informations circulent sur la manière dont il a appris les techniques ou s’il était autodidacte, tout juste sait-on qu’il est né et a vécu à Kyôto, qu’il vient d’une famille aisée d’épiciers et qu’il a commencé à peindre après ses 40 ans lorsqu’il confie l’héritage familial à son frère cadet. « L’homme à la main divine » ne semble pas avoir eu d’élèves et ne laisse pas non plus d’écrits à sa mort pour transmettre son art. Fascinant, parce que les rouleaux peints sur soie sont étudiés de très près à l’aide de la technologie depuis quelques années comme le démontre le documentaire « JAKUCHU: The Divine Colors ». Elles révèlent alors une minutie inégalée, Jakuchû peignant directement sur les rouleaux de soie, sans croquis préliminaires et sans se reprendre. Méritant amplement d’être qualifié d’ « homme à la main divine », Jakuchû recréait son environnement nature, des animaux comme des plantes, les reproduisant avec un réalisme saisissant grâce aux contrastes de couleurs complexes qu’il parvient à mettre en œuvre. Or à l’époque, il était peu courant d’utiliser plus de neuf pigments, mais c’est en posant de fins traits de micro-pigments sur 1 ou 2 millimètres, imperceptibles à l’œil nu, qu’il parvient à créer tant de nuances mais aussi un jeu d’ombres et de lumières. Le documentaire révèle alors un Jakuchû précurseur puisqu’en France, il faudra attendre Edouard MANET pour représenter les ombres et les lumières en peinture.
Si les Européens n’ont su relever le talent de Jakuchû par le passé, peut-être que grâce à Japonismes 2018, cette injustice sera réparée ? D’autant que les secrets de Jakuchû n’ont certainement pas fini d’être révélés. Le peintre disait : « Mes peintures seront comprises dans mille ans ». Après tout, n’a-t-on pas retrouvé ces dernières années des œuvres de l’artiste considérées comme perdues, en atteste les deux paravents redécouverts en 2012 ou le diptyque « Phoenix and Peacock » retrouvé en 2016 ? Et si vous vous demandez pourquoi l’exposition d’un peintre inédit en Europe ne durera qu’un mois, sachez que les œuvres sont extrêmement fragiles, ne serait-ce que pour conserver en l’état ces couleurs exceptionnelles, c’est pourquoi les œuvres sont systématiquement exposées pour une durée d’un mois maximum, à l’instar de l’exposition pour les 300 ans de la naissance du peintre !
– « JAKUCHU : The Divine Colors », documentaire de la NHK WORLD-JAPAN à voir le 7 juillet 2018. Infos pratiques dans votre agenda.
– « JAKUCHÛ (1716-1800) Le Royaume coloré des êtres vivants », au Petit Palais, du 15 septembre au 14 octobre 2018. Infos pratiques dans votre agenda.
Photo : extrait de « JAKUCHU : The Divine Colors ». Cette œuvre est soigneusement cachée à l’arrière à un temple à Kyoto et n’est pas accessible au public ©NHK WORLD-JAPAN