Deux semaines après l’arrestation ultra médiatisée de Carlos GHOSN le 19 novembre, à Tôkyô, on vous fait un récapitulatif de la situation jusqu’à aujourd’hui. Et de s’interroger sur les conséquences sur l’alliance franco-japonaise Renault-Nissan-Mitsubishi ?
Il était l’un des patrons les mieux payés du CAC40, à la tête d’entreprises faisant partie de la liste des 500 plus grosses entreprises mondiales, Fortune Global 500. Président directeur général de Renault, de l’alliance Renault-Nissan BV (société commune des deux constructeurs automobiles pour les opérations en commun) il est également à la présidence du conseil d’administration de Nissan et, depuis 2016, de Mitsubishi grâce à l’acquisition de 34% des parts de celle-ci par Nissan. Trois entreprises faisant partie d’une même alliance, et le même homme à la tête de quatre entités. Son rôle est clé dans cette alliance inédite puisqu’il a sauvé Nissan de la faillite et a rapidement placé le groupe comme étant le 4ème puis le 1er constructeur automobile au monde ! Mais, le Japon en aurait-il eu assez du « cost killer » (« tueur de coûts », son surnom) à la tête de Nissan ? Ou est-ce la France qui a provoqué la chute de l’emblématique patron franco-libano-brésilien ? Car, si cette arrestation est si médiatisée, c’est qu’elle concerne le président d’un groupe qui dépasse les frontières et qui n’a pas toujours fait l’unanimité.
Le secteur automobile tremble le 19 novembre
Le 19 novembre, le monde apprenait avec stupéfaction l’arrestation de Carlos GHOSN à l’arrivée de son avion à Haneda, Tôkyô. A peine sorti de son avion que la police le cueille, et ce, face à de nombreux journalistes prévenus de ce qui les attendaient. Il n’est pas le seul à être placé en garde à vue, son bras droit, Greg KELLY, est également arrêté, accusé d’avoir tout organisé. Carlos GHOSN est en effet accusé d’avoir omis de déclarer une partie de ses revenus dans les rapports financiers de Nissan, et ce, pendant plusieurs années, et d’avoir utilisé des biens de la société à des fins personnelles. Ce sont alors les premières informations communiquées directement par Nissan par Hiroto SAIKAWA, ancien bras droit de … Carlos GHOSN et placé par ce dernier aux commandes de Nissan depuis 2017 ! Le PDG japonais avait alors été très virulent dans ses propos à l’encontre de son ancien mentor, fait plutôt rare au Japon. La presse ne cesse de pointer du doigt ses dérives financières, et rapporte que le PDG aurait caché plus de 8 milliards de yens de revenus soit un peu plus de 62 millions d’euros, oubliant au passage de déclarer d’importants bénéfices issus des ventes de stock options. Le sauveur n’est plus et très rapidement Nissan annonce lui retirer la présidence de son conseil d’administration sans attendre qu’il soit jugé coupable. A l’autre bout du monde, en France, l’état détenant 15% de Renault, le ministre de l’économie Bruno LE MAIRE est plus tempéré et déclare au lendemain de l’arrestation qu’en attendant « plus de preuves », précisant que le fisc français avait pris soin d’enquêter immédiatement sans trouver d’irrégularité, Carlos GHOSN ne serait pas mis à la porte. En apparence, l’état français le soutient. Mais le patron étant toujours en garde à vue et en incapacité de diriger, Renault annonçait la décision de placer provisoirement le numéro 2, Thierry BOLLORÉ à sa tête. Une irrégularité fiscale qui semble donc ne concerner que Nissan. Et de se demander alors s’il ne s’agit pas d’un acte de trahison prémédité par l’ancien fidèle de Carlos GHOSN mais aussi si, au fond, la volonté inflexible du patron franco-libano-brésilien de rester à la tête du premier constructeur automobile mondial n’était pas l’unique problème.
Vers un rééquilibrage de l’alliance ?
Car ce contrôle que Carlos GHOSN exerce à la tête de toutes les sociétés de l’alliance et de l’alliance est mal vue et critiquée. S’il cède l’opérationnel de Nissan en 2017 à Hiroto SAIKAWA, il était conforté dans sa position de PDG de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi et proposait au premier semestre cette année de fusionner Renault et Nissan, projet stoppé net par le refus du PDG de Nissan. Quand Carlos GHOSN décide de rester à la présidence du groupe Renault et demande au conseil d’administration de renouveler son mandat, voté en juin 2018 pour 4 ans, il tend peut-être le bâton pour se faire battre. Est-ce ce qui a précipité sa chute ? Après tout, l’arrestation de Carlos GHOSN a eu lieu car une enquête en interne a été menée chez Nissan durant plusieurs mois. De quoi souligner un étrange timing et se demander si la déchéance de Carlos GHOSN n’a pas été orchestrée. Autre fait critiqué depuis longtemps aux yeux de la France comme du Japon : la rémunération qui place Carlos GHOSN parmi les patrons les mieux payés du CAC40. Lorsque son mandat doit être renouvelé en juin, il finit même par consentir à réduire sa rémunération de 30% pour que l’état accepte qu’il soit encore PDG. Au Japon aussi, sa rémunération choque car le dirigeant y est également un des PDG les mieux rémunérés du pays, 5 fois plus par exemple que le PDG de Toyota, 6ème entreprise du classement Fortune Global 500. Cette question-là ne serait pourtant que le sommet de l’iceberg. Des différends avaient émergé concernant les participations respectives dans l’alliance, Nissan n’acceptant plus d’avoir si peu de parts dans Renault et de ne pas avoir de droit de vote tandis que l’état français a son mot à dire chez Nissan. C’était déjà la raison d’un long bras de fer en 2015 lorsque l’alliance est renégociée. A l’époque, Emmanuel MACRON est le ministre français de l’économie, et il s’oppose alors vivement à Carlos GHOSN ! Le futur Président de la République française plantait alors les graines de la discorde en faisant acheter des parts supplémentaires par l’état dans le capital de Renault, par surprise. L’état conserve le contrôle sur Renault, qui détient 43,4% des parts de Nissan, cette dernière détenant 15% de Renault. Le constructeur français a alors toujours l’ascendant sur Nissan. Pourtant, le rapport de force entre les deux entreprises est déjà inversé puisque dès 2014, 62% des véhicules vendus au sein de l’alliance sont des Nissan ou des véhicules du groupe Nissan. Si par le passé Renault a sauvé Nissan, dorénavant, le constructeur japonais est en position de force, se trouvant en 54ème place du classement Fortune Global 500 en 2018 contre 134ème pour Renault. C’est ce déséquilibre au sein de l’alliance qui est remis en question, encore à l’heure actuelle, et qui a peut-être coûté sa place à Carlos GHOSN. Le 26 novembre, Hiroto SAIKAWA déclarait que l’alliance était à revoir car « inégale », selon des propos rapportés sur The Japan Times, fait qu’il avait déjà dénoncé en 2015.
Avec Hiroto SAIKAWA à la tête de Nissan, Osamu MASUKO à la présidence de Mitsubishi, et enfin, Thierry BOLLORÉ chez Renault, nous avons donc trois entreprises et trois dirigeants. Cela pourrait sembler satisfaisant et moins inégal en attendant un éclaircissement de la situation de l’ex-PDG mais cette affaire semble loin d’être terminée puisque l’état français par la voix de Bruno LE MAIRE, persiste à soutenir que le numéro 1 de Renault doit être à la tête de l’alliance, ce qui ne convient pas aux Japonais. Mais c’est surtout le rôle de l’état français qui semble le plus problématique. Et malgré une situation délicate, la France semble rejeter toute renégociation de l’alliance, tout en repoussant dans le même temps toute idée d’un complot venant du Japon pour déchoir Carlos GHOSN. Ce dernier est toujours dans un centre de détention depuis son arrestation niant fermement toutes les accusations, et sa garde à vue a été prolongée vendredi. Signe que cette affaire a un enjeu géopolitique, il y a quelques jours en marge du G20, le Président Emmanuel MACRON a rencontré le Premier ministre Shinzô ABE pour discuter de l’avenir de l’alliance. De cette rencontre, une déclaration commune selon laquelle l’alliance est le « symbole de la coopération industrielle entre le Japon et la France », mais Shinzô ABE aurait également indiqué que « les gouvernements ne devraient pas intervenir », formulant clairement le fond du problème ?
Sources : Capital, Reuters, Les Echos, Asahi Shimbun, The Japan Times.
Photo : portrait officiel via Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi