Il n’y avait pas que des victimes japonaises à Hiroshima et Nagasaki

Le musée du mémorial de la paix à Hiroshima a rouvert ses portes en avril après deux ans de rénovation. Une nouvelle section de l’exposition permanente a été créée, dédiée pour la première fois aux hibakusha étrangers.

Les visiteurs du musée pouvaient déjà avant rénovation y voir des objets appartenant aux victimes de la bombe atomique, hibakusha, portés le jour fatidique ainsi que le récit de leur histoire. Mais il n’y avait pas que des victimes japonaises des bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. C’est un sujet méconnu même au Japon, mais il y avait des étrangers vivant au Japon durant la Seconde guerre mondiale comme des nippo-américains, des chinois ou encore des familles russes. Le musée du mémorial de la paix d’Hiroshima leur donne désormais une place dans l’histoire, tout en montrant que la bombe a dévasté non seulement les Japonais mais a fait de nombreuses victimes étrangères « en bombardant tous ceux qui étaient là, sans distinction de nationalité ». L’institution affiche une estimation de dizaines de milliers d’étrangers qui vivaient à Hiroshima et ont été victimes de la première bombe atomique, en attestent les récits d’une étudiante malaysienne, d’un jeune coréen assigné au travail  et celui d’un prêtre allemand qui sont exposés dans cette nouvelle salle. Une  grande majorité de ces étrangers serait d’origine coréenne, conséquence du travail forcé, et un monument en l’hommage de vingt mille victimes coréennes est érigé depuis plusieurs années à proximité du musée. Mais s’il était déjà difficile pour les hibakusha japonais d’outrepasser un tabou et de témoigner de leur traumatisme, il semble que cela est encore plus difficile pour les hibakusha étrangers, d’autant plus lorsqu’ils sont d’origine coréenne bien qu’il est estimé que ces derniers comptent pour 10% des victimes totales. Depuis, les années 2000, ces victimes étrangères comment à témoigner. C’est le cas notamment de LEE Jong-keun, âgé de 90 ans. Né au Japon, dans le département de Shimane, il avait 16 ans et était sur le chemin pour aller travailler au centre d’Hiroshima lorsqu’une « lumière jaune l’a enveloppé ». Se trouvant à proximité de l’épicentre, son corps souffre de des irradiations. Malgré la douleur, il s’est d’abord mis à rechercher sa famille avant de se rendre dans un petit hôpital, où il est soigné avec du simple Mercurochrome. Néanmoins, il est remis sur pied et au bout de quatre mois il quitte l’hôpital. Par peur d’une double discrimination, celle liée à ses origines coréennes et celle liée aux irradiés, pendant de longues décennies, il n’avait jamais osé dire qu’il était un hibakusha ni même osé dire qu’il était coréen. La politique du shôshi kaimei de 1939 l’ayant obligé à changer son nom pour un nom plus japonais, il se faisait appeler Masaichi EGAWA. C’est en 2012, après avoir été invité à se joindre à un voyage organisé par l’ONG antinucléaire japonaise Peace Boat, que LEE Jong-keun décide de parler, notamment pour montrer au monde entier que les Japonais n’ont pas été les seuls à avoir été irradiés. Il n’hésite plus aujourd’hui à raconter son histoire aux écoliers et collégiens de passage dans la ville. Autre exemple d’hibakusha étranger : Willy BUCHEL, un Néerlandais qui avait été prisonnier de guerre en 1943 et se trouvait à Nagasaki à moins de 2km de l’épicentre lorsque la deuxième bombe a frappé. Mais il est retourné aux Pays-Bas peu après la guerre et ce n’est qu’en 2015 qu’il décide de poursuivre la ville pour préjudices moral. Il obtient gain de cause en recevant de la part du gouvernement japonais un dédommagement de 1,1 million de yens (équivalent à 8 800 euros) en 2016 à 95 ans. D’après The Japan Times, sur 150 prisonniers de guerre néerlandais qui se trouvaient dans le même camp que Willy BUCHEL et exposés à la bombe, 6 ont été reconnus comme hibakusha.

 

Cette difficulté pour les hibakusha étrangers à raconter leur histoire est fortement liée à cette discrimination des irradiés par la société japonaise, mais elle est aussi liée à la difficulté par le gouvernement japonais à les reconnaître comme victimes de la bombe. Si pour les hibakusha japonais, la lutte pour faire reconnaître leur statut et obtenir des soins a été longue -il a fallu attendre 1957 pour les premiers soins puis les premières allocations, ce fut encore plus long pour les hibakusha étrangers. Ce n’est qu’en 1978 que le Japon accorde l’accès à une prise en charge complète aux hibakusha étrangers. Mais cette démarche est rendue impossible lorsque ces étrangers vivent dans un autre pays puisqu’en 1974, le ministère de la santé nie l’accès aux soins et aux allocations aux hibakusha ayant déménagé à l’étranger. Ces derniers ne pourront y prétendre qu’en 2003. En mars 2018, 3 123 carnets de santé certifiant le statut d’hibakusha ou hibakusha kenkô techô, ont été délivrés à l’étranger, dont 2 241 en Corée du Sud, 667 aux Etats-Unis. A cette même période, le gouvernement japonais recensait  au total un peu plus de 154 000 hibakusha encore en vie, dont la moyenne d’âge est autour de 82 ans.

 

 

Sources : Kyodo News, Hiroshima Peace Memorial museum site officiel, Hibakusha stories, The Japan Times.

Photo : Genbaku Dome  ©2015 Japan FM.

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