La Triennale d’art contemporain d’Aichi vient tout juste d’ouvrir ses portes. En dépit de son thème principal, la liberté d’expression, l’une des expositions représentant les femmes de réconfort vient d’être annulée.
Alors que la Triennale d’Aichi a été inauguré ce 1er août et doit durer jusqu’au 14 octobre, l’une de ses expositions vient d’être annulée. Pire encore, si le thème général du festival est « Taming Y/our passion », traduisible par « Apprivoiser votre/notre passion », le thème de l’exposition annulée était « After ‘Freedom of Expression’ ? » soit « Après ‘la liberté d’expression’ ? ». En cause, une sculpture intitulée « Statue of a Girl of Peace » (soit « Statue d’une Fille de Paix ») représentant une femme de réconfort réalisée par un couple de Sud-coréens mais aussi une vingtaine d’œuvres dont des photos de femmes de réconfort jusqu’ici jamais exposées au Japon car précédemment censurées. Le directeur artistique du festival, le journaliste et activiste Daisuke TSUDA vient d’exprimer ses excuses pour avoir cédé à la pression des menaces. Le festival recevait en effet des courriers et des appels téléphoniques de protestation et de menaces en raison de cette exposition et le Gouverneur du département a appuyé cette décision au nom du bon déroulement du festival. Une décision qui intervient également pendant que les relations diplomatiques du Japon avec la Corée du Sud se dégradent. Après avoir imposé il y a un mois une restriction des exportations de produits chimiques, le Japon vient de retirer le pays de la liste de ses 27 partenaires privilégiés, suscitant une réaction identique de la part de la Corée du Sud. Et le sujet des femmes de réconfort, (ou « ianfu » en japonais) terme employé pour évoquer les femmes coréennes obligées d’être des esclaves sexuelles par le Japon durant la Seconde guerre mondiale demeure le plus gros contentieux entre les deux pays encore de nos jours. Le Japon considère en effet que cette question et celle des travailleurs forcés a été réglée lors du traité signé en 1965 contrairement à la Corée du Sud qui réclame l’indemnisation des victimes par des entreprises japonaises. Probable conséquence de l’envenimement des relations diplomatiques et signe que le sujet demeure encore tabou pour les Japonais, le Maire de Nagoya appelait à fermer cette exposition dès l’inauguration de la Triennale d’après l’Asahi Shimbun. Parmi les premiers visiteurs, certains s’indignaient de la présence d’une telle statue. Puis, l’un des auteurs de menaces reçues mentionnait « apporter un bidon d’essence au musée », rappelant hélas le récent incendie criminel qui a ravagé Kyoto Animation. C’est donc d’un commun accord que le Gouverneur d’Aichi et Daisuke TSUDA ont décidé de mettre fin à cette exposition. Daisuke TSUDA a ainsi évoqué sa responsabilité en tant que directeur artistique : « J’ai fini par donner le mauvais exemple en supprimant un évènement culturel en raison de menaces téléphoniques » ajoutant « Je dois accepter les critiques selon lesquels j’aurais dû m’attendre à bien pire que ce à quoi j’étais préparé ». Cette exposition a été interrompue sans l’approbation des artistes. KIM Eun-sung et KIM Seo-kyung regrettent ce choix, puisqu’ils auraient aimé au contraire « dialoguer avec les citoyens japonais à travers [leurs] oeuvres » convaincus que « apprendre à mieux se connaître mènera à la paix ». C’était pourtant l’intention du thème de la Triennale cette année, « Taming Y/our passion ». Dans la présentation du thème décrite sur le site officiel de la Triennale, Daisuke TSUDA écrit que « passion » en japonais se dit « jônetsu ». L’un de ses idéogrammes, « jô » est également employé pour former les mots « information » (« jitsujô » ou « jôhô ») , « émotion » (« kanjô » ou « jôdô » mais aussi « compassion » (« ninjô »). Or il y indique précisément que la définition, le but de l’art est d’être « développé pour dompter l’émotion et l’information avec la compassion. (…) L’art peut tout supporter de ce monde. Il nous libère d’un monde de choix rationnels dans lequel les gros chiffres l’emportent toujours, et évite la simplification d’un monde gris et mosaïque en un monde où tout est noir et blanc. ».
KIM Eun-sung et KIM Seo-kyung sont des artistes connus pour réaliser des statues représentant une jeune fille en tenue traditionnelle coréenne symbolisant les femmes de réconfort. L’une de leurs œuvres avait déjà suscité par le passé la colère du Japon, lorsqu’une des statues avait été installée en 2011 devant l’ambassade du Japon en Corée du Sud à Seoul. Elle avait été retirée à la demande du Japon en 2015, après la signature d’un accord entre les deux pays supposé mettre fin aux désaccords sur les femmes de réconfort.
Sources : Asahi Shimbun, Kyodo News, site officiel de la Triennale d’Aichi.
Photo : ©Kyodo