Un regard sur l’exposition consacrée à Ken DOMON à la MCJP

Il était un immense photographe qui a documenté le Japon d’avant, pendant et d’après-guerre, mais méconnu en France. La Maison de la Culture du Japon à Paris dévoile la première exposition personnelle consacrée à Ken DOMON du 26 avril au 13 juillet 2023. Et c’est en entrée libre !

Ken DOMON (1909-1990) était un des photographes japonais les plus connus du Japon au point qu’il y’a un musée qui lui est entièrement consacré au Japon à Sakata, sa ville natale dans le département de Yamagata. En effet, Ken DOMON a fait don de l’intégralité de ses photographies à la ville de Sakata, qui en retour lui dédie dès 1983 un musée et les photos présentées à la MCJP proviennent de cette institution. S’il a posé les fondations de la photographie contemporaine au Japon, il est surprenant d’apprendre qu’il n’avait jamais exposé en solo à l’étranger, pour cela il a fallu attendre après sa mort (en Allemagne en 1990, puis en Italie en 2016). Ainsi, ses photographies n’ont jamais été exposées en France ! La Maison de la Culture du Japon à Paris rectifie cette injustice en permettant au public français de découvrir l’œuvre du photographe à travers une centaine de photographies. Ken DOMON – le Maître du réalisme japonais propose un parcours en six étapes permettant aux visiteurs de découvrir des photographies marquantes de l’artiste et dont je vais détailler deux étapes en particulier :

  • L’avant-guerre et pendant la guerre : Ce sont les débuts de Ken DOMON, suivi de son recrutement en 1939, inévitable, à l’Agence pour la promotion internationale de la culture et contribue à la propagande et la promotion culturelle.  Il rejette toutefois son poste en 1943, soit avant la fin de la guerre, s’opposant à l’utilisation de photographies dans des magazines à des buts de propagande. Dans le cadre de la promotion culturelle, il est intéressant de constater que, certains sujets demeurent d’actualité à l’image de l’artisanat ou les Ama !
  • L’après-guerre : c’est dans cette période que le photographe s’inscrit ou plutôt s’affirme dans la photographie réaliste. Documentant les changements provoqués par la capitulation et la présence américaine sur le territoire japonais, notamment à Tôkyô.
  • Les enfants : le photographe a un intérêt et un attachement envers les enfants en tant que sujets de photographie. Dès ses débuts il photographie le Shichi-go-san à Meiji Jingû (Tôkyô) ou des enfants pêchant à Izu. Si au départ, les sujets sont légers, festifs, il s’inscrit dans le réalisme social après la guerre, et en particulier après le décès de sa fille (il a eu 4 enfants) en 1946.  Les enfants deviennent un moyen d’aborder des sujets de société parfois tabous. C’est le cas avec Les enfants de Chikuhô. Chikuhô, située dans le département de Fukuoka était une ville d’extraction de charbon fermée dans les années 50, avec des conséquences désastreuses pour sa population. Ken DOMON s’était rendu sur place en 1959 pour rendre compte de la pauvreté. L’ouvrage est publié en 1960 et bouleverse le pays et connaît un grand succès. Dans la foulée il consacre un autre ouvrage consacré particulièrement à deux enfants, Rumie et Sayuri à travers Le père de la petite Rumie est mort. Avec Les enfants de Chikuhô, puis Hiroshima (voir ci-après), Ken DOMON semble surtout être un pionnier pour témoigner de sujets très sensibles. Il faut comprendre qu’au-delà du chômage provoqué par la fermeture des mines, ceux qui y travaillaient risquaient des maladies pulmonaires telle que la pneumoconiose soit une mort lente par asphyxie. Il aura fallu attendre les années 80 pour qu’on leur reconnaisse une malade professionnelle incurable (lire cet article universitaire pour en savoir plus).
  • Hiroshima : Ken DOMON s’est rendu à Hiroshima dès 1957 et depuis cette première visite, il s’y est rendu six fois en quelques mois. Il en résulte une série de 180 photos (sur les plus 7 000 clichés pris !) accompagné de textes et publié en mars 1958. Un sujet marquant pour l’artiste car comme l’indique l’exposition il « prend (…) conscience qu’il ignorait jusque-là de la réalité d’Hiroshima » tout en « [craignant]de découvrir ce qu’elle signifiait ». Un sujet très tabou alors et Ken DOMON a été très critiqué pour avoir voulu documenter cette réalité. Plusieurs années plus tard, le regretté prix Nobel de Littérature 1994 et auteur de l’essai Notes de Hiroshima, Kenzaburô OÊ qualifie cette œuvre comme « la première œuvre d’art contemporain inspirée par la bombe atomique qui traite des vivants et non des morts. ». A la MCJP, les visiteurs peuvent voir une dizaine de photographies de cette série, mais notez que pour un public sensible ou ignorant la réalité des hibakusha (signifiant en français, victime de la bombe atomique), ces photographies peuvent heurter votre sensibilité. Néanmoins, c’est une section de l’exposition qui est incontournable pour la mémoire, et je regrette presque qu’il n’y’ait pas davantage de photographies exposées. En fait, je suis surtout stupéfaite que le livre n’ait jamais été traduit et publié en France – une version en japonais et en anglais, Living Hiroshima, a été publiée mais difficile à trouver.
  • Portraits : cette section met en avant des portraits de personnalités du Japon du XXème siècle qu’il a pris tout au long de sa carrière.
  • Sur la route des temples anciens : C’est une série de photographies principalement en couleur qui dénotent en opposition aux photographies en noir et blanc qui composent une grosse partie de cette exposition parisienne. La MCJP souligne le contraste en installant cette série de photos sur un fond rouge vibrant. Là encore c’est un sujet de photographie de longue date ! C’est le temple Muroji (département de Nara), qu’il commence à photographier dès 1939, qui semble le fasciner le plus. Cette dernière partie permet de visualiser comment à son époque Ken DOMON a documenté les structures des temples et les sculptures bouddhiques, mais surtout de constater l’évolution technique du photographe, victime de plusieurs hémorragies cérébrales, une 1ère dès 1959 et une 2ème en 1968. Hélas, ses soucis de santé le laissent de plus en plus diminué mais jamais il n’abandonnera la photographie, s’adaptant alors afin de poursuivre son travail.

L’exposition de la MCJP permet de mettre en avant un immense photographe japonais dont on sent l’intérêt et une tendresse pour son pays et sa population à travers les différents sujets de photographie (et je reconnais ici qu’avant le vernissage de l’exposition je ne connaissais rien de lui). C’est donc une exposition qui est à voir absolument. Non seulement car jamais les œuvres de Ken DOMON n’avaient été exposées en France, mais surtout parce que l’exposition permet d’avoir un regard sur le Japon du XXème siècle. Si les ouvrages du photographe n’ont jamais été publiés en France, bonne nouvelle puisqu’un catalogue de l’exposition sera disponible aux éditions Skira. C’est au moins ça !

  • Ken DOMON – Le Maître du réalisme japonais, du 26 avril au 13 juillet 2023 à la Maison de la Culture du Japon à Paris, 101bis quai Jacques Chirac 75015 Paris. Entrée libre.
  • Conférence Ken Domon dans l’histoire de la photographie japonaise en français et japonais Samedi 20 mai 2023 à 14h dans la Petite salle (rez-de-chaussée), en entrée libre sur réservation

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