[FUKUSHIMA] Etat des lieux 5 ans après

Le 11 mars 2011, le Japon subissait un important tremblement de terre, suivi d’un tsunami dévastateur ainsi que de la catastrophe nucléaire de Fukushima provoquant un désastre humain et environnemental. Si de nombreux médias ont continué à enquêter sur la situation, la Maison de la Culture du Japon à Paris accueillait le 8 mars une conférence-débat sur le sujet en présence de Kenichi WATANABE, Thierry CHARLES et Nicolas IMBERT. Quelle est la situation de la région, cinq ans après les faits ?

Rapide rappel des faits :

Le 11 mars 2011 à 14h46 un séisme de magnitude 9 sur l’échelle de Richter secoue le pays. A 15h30 un tsunami atteignant parfois plus de 15 mètres s’abat sur la région du Tôhoku dévastant tout sur son passage et s’abattant sur la centrale de Fukushima-Daiichi, affectant tout le réseau électrique et mettant alors à l’arrêt les réacteurs de la centrale. Quelques jours plus tard, les réacteurs explosent un à un libérant des nuages radioactifs. Deux mois plus tard, TEPCO déclare que les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 sont entrés en fusion, le plus grave accident nucléaire depuis Tchernobyl. Le séisme et le tsunami ont fait de nombreuses victimes, environ 20 000 morts et disparus. Et des habitants sont obligés de s’exiler car une évacuation est ordonnée pour 160 000 habitants dans les 20 km autour de la centrale sans oublier les évacués dus au tsunami augmentant le nombre de réfugiés.

Exil et conséquences humaines

Aujourd’hui certaines villes sont de nouveau habitables, Naraha a été ainsi la première commune à revoir ses habitants dès septembre 2015, mais pour autant, les locaux sont frileux à l’idée de revivre dans cette région, inquiets de la situation réelle. En effet, lors de l’annonce moins de 10% des habitants de Naraha ont décidé de revenir vivre chez eux, soit sur 8 000 habitants avant le 11 mars 2011 seuls 450 sont revenus et parmi eux une écrasante majorité de personnes âgées. Un exil forcé mais indemnisé, faute de mieux, par l’Etat comme par TEPCO. Un lot de consolation limité dans le temps puisque cette aide financière sera suspendue progressivement à compter de 2018. Ceux qui ne voudront pas retourner chez eux, verront leur aide suspendue. Mais parmi ceux qui ont dû fuir, on recense nombreux enfants souffrant de problèmes de thyroïde et notamment de cancer, sans pour autant que les autorités compétentes ne fassent le lien entre l’accident de la centrale nucléaire et l’apparition de cancers. Un rapport gouvernemental japonais met en lumière la présence de cancer thyroïdien chez 26 enfants fin septembre 2013, suite à une campagne de détection de cancer effectuée sur 300 000 enfants. Mais étant donné que ces dépistages ont été réalisés seulement depuis la triple catastrophe, personne ne veut affirmer une corrélation entre l’accident de la centrale et le cancer. Or, si on compare à l’accident de Tchernobyl, il s’avère que les cas de cancers reconnus comme découlant de cet accident sont apparus dans les 4 à 5 ans après. L’UNSCEAR (Comité Scientifique des Nations Unies pour l’Étude des Effets des Rayonnements Ionisants) qui dépend directement de l’ONU, évaluait dans son rapport public en 2014 que les radiations reçues par les personnes exposées étaient sans gravité, seuls les nourrissons pouvant avoir un risque théorique de développer un cancer de la thyroïde, dont le comité juge qu’il s’agit d’un risque rare. Un rapport contesté de plusieurs parts, car plusieurs scientifiques et médecins remettent en cause l’indépendance de l’UNSCEAR. Car en effet, suite à une nouvelle campagne de détection du cancer thyroïdien réalisée sur cette fois 385 000 enfants, le Japon recense désormais en février 2015, au moins 86 cancers thyroïdiens, soit un chiffre en augmentation [Edit: ce chiffre est désormais à 116 d’après le Asahi Shimbun]. Surtout qu’une autre information de Fukushima Blog, peu relayée, avait dévoilé que deux enfants souffrant de ce cancer ont développé des métastases aux poumons, démontrant l’agressivité de ce cancer. Ce même blog attire l’attention sur le fait que les parents inquiets pour leurs enfants, voudraient obtenir un autre avis médical en dehors de la région. Une consultation qui leur est refusée en raison de pressions subies ou par peur d’alimenter la confusion, le seul organisme de santé habilité à conduire des recherches sur les victimes de la région étant l’Université Médicale de Fukushima. D’autres journalistes indépendants comme Mari TAKENOUCHI tentent de prouver un lien entre l’association « ETHOS à Fukushima », destinée à accompagner le retour à la ville sinistrée et qui semble liée au lobby du nucléaire, qui selon la journaliste est en train d’expérimenter les effets du nucléaire sur les humains. Doit-on s’attendre alors à d’autres cas de cancers dans les années qui arrivent ? Quoiqu’il en soit malgré un nombre de cas en hausse, les autorités ainsi que l’IRSN persistent à nier tout lien avec l’accident de Fukushima. Pourtant Jan VANDE PUTTE de Greenpeace attire l’attention sur le fait que si les autorités trouvent acceptable un niveau de radioactivité inférieur à 20 millisievert/an, ce taux équivaut à faire « une radio[graphie] tous les 3 jours » alors même que les médecins prennent « des mesures de précaution même pour une radio. (…) Un niveau largement inacceptable ». Un taux acceptable et un refus d’admettre un lien entre cancer et l’accident qui sont contestés également par l’ONU dès 2013 dans un rapport rendu public et contredit aussitôt par le gouvernement japonais.

Le démantèlement de la centrale de Fukushima-Daiichi

Aujourd’hui, cinq ans plus tard, les choses se sont stabilisées dans la centrale de Fukushima-Daiichi, mais pour autant rien ne permet d’affirmer avec certitude sur ce qu’il se passe dans les réacteurs. Personne, ni même TEPCO, n’a de vues sur ce qu’il s’y passe car l’endroit où se trouve le corium est inaccessible à l’Homme car mortel. Toute hypothèse est fondée sur des données accumulées progressivement, la situation étant inédite. L’IRSN, organisme français dépendant du ministère français de la Défense, jugeait en octobre 2011 que « les eaux contaminées issues de Fukushima représentaient le plus important apport ponctuel de radionucléides artificiels pour le milieu marin jamais observé », mais se voulait rassurante : « la localisation du site de Fukushima a permis une dispersion des radionucléides exceptionnelle (…) qui a éloigné les eaux contaminées vers le large ». Sauf que malgré des paroles rassurantes, dans les faits c’est plus inquiétant. Selon Thierry CHARLES, directeur général adjoint de l’IRSN, en charge de la sûreté nucléaire évoque en effet le démantèlement de la centrale de Fukushima-Daiichi lors de la conférence à la MCJP. Les combustibles des réacteurs 1, 2 et 3 devraient être récupérés selon un planning, une première étape dès 2017 puis en 2021 et le démantèlement de la centrale se déroulera dans 40 ans, mais Thierry CHARLES précise qu’il ne s’agit que d’un ordre de grandeur, car nous n’avons pas la technologie nécessaire aujourd’hui pour récupérer les coriums, tout en soulignant que ces informations sont celles communiquées par TEPCO. Or TEPCO, opérateur de plusieurs centrales électriques du Japon et dont celle nucléaire de Fukushima-Daiichi, vient de reconnaître avoir minimisé la gravité de la situation de la centrale suite au séisme et au tsunami du 11 mars 2011 et il a été constaté que TEPCO avait tendance à dissimuler des informations, ignorant jusqu’aux recommandations de l’Etat qui auraient pu éviter toute cette situation, alors l’IRSN peut-elle se fier ainsi aux données de TEPCO ? Aujourd’hui ce qui est certain c’est que le Japon a besoin du nucléaire sans quoi sa facture énergétique coûtera trop cher. Le pays ne peut se passer du nucléaire c’est d’ailleurs ce que vient de déclarer ce jeudi 10 mars le Premier Ministre Shinzo Abe, raison pour laquelle le pays redémarre petit à petit ses réacteurs nucléaires, et ce bien que 70% de la population japonaise ne soient pas favorables à cela. Pour Nicolas IMBERT, directeur exécutif de l’ONG Green Cross, nous ne saurons que dans 5 à 10 ans si les décisions politiques prises lors du drame ont été les bonnes.

Conférence-débat »Fukushima, 5 ans après, où en est-on? » à la MCJP le 8 mars 2016 en présence de Tsutomu SUGIURA, nouveau Président de la MCJP, François-Xavier MENAGE, président de l’Association de Presse France-Japon, Kenichi WATANABE, documentariste et réalisateur, Thierry CHARLES, directeur général adjoint de l’IRSN en charge de la sûreté nucléaire et Nicolas IMBERT, directeur exécutif de Gren Cross ©Blackcat/JapanFM

Des zones contaminées ou pas ?

Bien que les officiels donnent des propos rassurants sur la réhabilitation progressive des villes contaminées, les habitants sont partagés sur leur avenir au sein de la région. Kenichi WATANABE, réalisateur et documentariste (« Le monde après Fukusima », « La face cachée d’Hiroshima »), et qui suit toujours les victimes de la triple catastrophe, raconte l’histoire de certains d’entre eux telle une femme qui a demandé à ses deux filles de ne pas avoir d’enfants, le réalisateur ajoutant que le fils de cette dernière s’est marié et que sa femme a dû avorter à deux reprises en raison de malformation. Une autre raconte qu’après réflexion, des habitants à Watari se sont mis d’accord pour instaurer des temps de jeux en extérieur pour les enfants, des routes sécurisées réalisées à partir de données prises par leurs propres compteurs Geiger. Car aucunes données ne peuvent aujourd’hui établir avec exactitude les conséquences de cet accident nucléaire. Sans oublier que les forêts de la région ne pourront être décontaminées, en tout cas pas avant des centaines d’années selon Thierry CHARLES, alors que dire aux enfants qui souhaitent jouer, comme n’importe quel enfant de leur âge, dans la forêt ? Sur ce point, Jan VANDE PUTTE est de nouveau alarmiste, inquiet de laisser des personnes revivre dans des zones dites décontaminées  car les forêts composent 80% de la région dévastée or « au fur et à mesure, cette radioactivité stockée dans les forêts [est relâchée] dans la nature ». Et que dire également de l’eau servant à maintenir à température les cœurs en fusion ? Ces eaux sont stockées sur site, mais il faudra bien un jour s’en débarrasser. La question aujourd’hui que TEPCO se pose c’est soit d’enterrer cette eau , soit la filtrer comme se peu et de la rejeter dans l’océan, comme apparemment le font sans que qui que ce soit ne les en empêche toutes les centrales du monde. Et donc contaminer l’océan. Revenons aussi sur le rôle des décontaminateurs, dont on peut saluer le courage car sans eux peu de choses auraient changé dans la région, bien qu’on puisse critiquer les méthodes de recrutement. Selon François-Xavier MENAGE, modérateur de la conférence-débat, ces derniers entreposent les sacs de terres grattées le long du littoral de la région. Or si un tsunami vient à frapper de nouveau, ces sacs se retrouveront dans l’océan et ainsi contaminer l’eau et la vie maritime. Autre question qui porte cette fois sur la production alimentaire de la région : est-elle véritablement comestible ? Selon les autorités publiques, certains aliments le sont et c’est ainsi que du riz de Fukushima est servi en cantine aux enfants, ce qui scandalise certains parents, sceptiques. Car en effet, comment affirmer qu’ingérer à long terme de la nourriture contaminée même dans les limites acceptables, n’aura aucune incidence sur la santé ? L’OMS en 2011, s’alarmait après avoir confirmé la présence de radiations dans la nourriture produite par la région avant de préconiser à partir de 2013 un suivi régulier à long terme des habitants, de leur nourriture et de l’eau.

Cinq ans après, la région  autour de Fukushima est loin d’en avoir terminé avec ce cauchemar. Si des villes sont considérées comme de nouveau habitables, tout ce qui faisait le moteur économique de la région à savoir l’agriculture et la pêche n’est pas revenu à la normale et ce ne sera probablement pas le cas avant de longues décennies. Les autorités gouvernementales semblent indiquer que tout est sous contrôle, tandis que d’autres voix se battent au contraire contre ces décisions, car même les experts nucléaires se fondent sur des hypothèses. Les victimes, elles, ont tout perdu, sans espoir de retrouver leur vie telle qu’elle était et malgré ça, sont dans le doute permanent entre ces informations contradictoires au point de ne plus savoir que faire et de se résigner. Kenichi WATANABE, dans une interview pour Télérama, utilisait le terme d’ « absurde » pour décrire la situation de Fukushima. C’est peut-être ce qui décrit le mieux ce qui s’est passé et se passe à Fukushima.

Pour aller plus loin voici une sélection de conférences publiques, de livres et films documentaires accessibles en France :

– « Fukushima : chroniques d’un désastre annoncé » documentaire sur Arte, ce 11 mars 2016 à 22h40.

– « Le monde après Fukushima » documentaire de Kenichi WATANABE en VOD sur Arte.

– « Fukushima : le poison coule toujours », le livre de François-Xavier MENAGE, présentateur de l’émission « Capital » sur M6 et président de l’Association de Presse France-Japon.

– « Fukushima Fragments », témoignage du photographe Kosuke OKAHARA ce vendredi 11 mars à 18h30 à la Maison de la Culture du Japon à Paris, qui a arpenté la région dévastée et en a livré des photographies dans son ouvrage au titre éponyme aux éditions La Martinière.

– « Seul à Fukushima», un documentaire de Mayu NAKAMURA sur un homme qui a refusé d’être évacué. Diffusion et rencontre avec la réalisatrice le samedi 12 mars à 16h à la Maison de la Culture du Japon à Paris.

– « 5 ans après, Fukushima : Comment vivent les habitants ? », conférence-débat avec une habitante de Fukushima qui témoignera de la situation, lundi 14 mars de 19h à 22h à la salle de conférence Espace Jean Dame (Paris 2ème).

Sources: Rapport de 2014 de L’UNSCEAR, rapports de l’IRSN, rapports de l’OMS, podcasts « Le zoom de la rédaction » de Sandy Dauphin sur France Inter du 8 et 9 mars 2016, Rue89, Médiapart, Le Monde, Télérama, Le Nouvel Obs, Les Echos, Fukushima Blog.

Photo : Natori (préfecture de Miyagi) après le passage du tsunami, ©Mike Clarke/AFP, source Le Figaro

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