Auteur de » Fukushima : le poison coule toujours « , le journaliste, également présentateur de l’émission » Capital » sur M6 mais aussi président de l’Association de Presse France-Japon a accepté de répondre à quelques questions autour de son essai, sorti le 2 mars dernier.
– JFM : Vous avez débuté ce reportage en qualité de journaliste pour BFMTV en 2011, pour le poursuivre au fil des ans. Entre temps, depuis septembre 2014, vous êtes devenu le présentateur et travaillez à la rédaction de l’émission « Capital ». A quel moment avez-vous décidé de faire de la catastrophe de Fukushima, un livre ?
François-Xavier Ménage : J’ai démarré ce livre au moment même où je terminais un reportage « long format » d’une quinzaine de minutes pour BFMTV. Dans l’avion du retour, je me suis dit « comment faire pour y retourner encore ? « . J’ai donc pris la décision de rédiger ce livre. Je voulais être dans un rapport frontal avec la zone rouge, sur le long court, avec plusieurs déplacements, sans caméra, juste un cahier, un crayon et un appareil photo.
– JFM : Il semble que vous êtes passionné par le Japon depuis votre enfance (d’après un article de 20 minutes), comment est né cette passion du Japon ? Est-ce ce qui vous a motivé à vous porter volontaire pour vous rendre à Fukushima ?
FX. Ménage : J’adorerais vous dire que je suis tombé amoureux du Japon à 6 ans en regardant un dessin de Hokusai au Musée Guimet… Mais la réalité est beaucoup plus prosaïque. Mon attrait pour le Japon doit inconsciemment démarrer, comme tous les enfants de ma génération, avec les dessins animés du Club Dorothée, c’est évident. Mais le vrai coup de foudre s’effectue plus tard grâce au cinéma japonais. Ce fut ma vraie porte d’entrée, celle qui m’aspira pleinement. L’un de mes films préférés s’appelle « The Taste Of Tea » (Katsuhito Ishii, sortie en 2004 en France). Une fois sorti de la salle de cinéma, je me rappelle m’être dit « bon, maintenant, ça va les salles obscures, mais il va falloir y aller, au Japon »
– JFM : Dès les premiers jours de la catastrophe vous vous rendez dans cette région parfois sans réaliser qu’un ennemi invisible rôde autour de vous : vous êtes-vous dit au cours de vos nombreux séjours, que vous avez mis votre vie en danger ou vous avez juste fait votre job ?
FX. Ménage : J’ai eu l’occasion, en tant que grand reporter, de connaitre quelques moments, disons, tendus sur le terrain, où le danger était de l’autre côté de la rue. Avec Fukushima, rien de tout cela. Le danger est planqué, sournois, et il surgit sans prévenir, on ne reçoit pas de « push » sur son portable. Au pire moment de la crise, dans la centrale, je me trouvais à 80km de Fukushima Daiichi. Personne, évidemment, ne connaissait la position du nuage radioactif. L’appréhension aurait pu être immense, mais à côté de moi, les Japonais, déjà si cruellement atteints par le séisme et le tsunami, restaient le plus calme possible. Une leçon. Il était donc difficile d’être plus inquiets qu’eux. Dans ces conditions, je connais la règle du jeu : le journaliste s’expose quelques jours, et reviens tranquillement chez lui, quand les habitants eux, vivent avec ce drame toute leur vie.
– JFM :Ce qui est marquant dans plusieurs témoignages de victimes dans votre livre, c’est que malgré l’inaction de l’Etat, la plupart des habitants n’en veulent pas particulièrement au gouvernement, estimant qu’ils ont des priorités avant de s’occuper des victimes ou alors ne font pas particulièrement confiance mais subissent… Cinq ans après, avec les déclarations récentes de TEPCO et la mise en examen de trois de ses anciens dirigeants, l’adoption de la loi sur les secrets d’états et les récentes menaces de la Ministre de la Communication et des Affaires Internes sur les médias japonais (elle censurerait les médias qui ne rapporteront pas avec véracité les propos du gouvernement), est-ce que ça va changer quelque chose ? Et quel est votre regard sur ces actualités récentes ? Craignez-vous en qualité de journaliste que l’information finisse par ne plus être une information dans ce pays ?
FX. Ménage : La loi en cours n’est sans doute pas la meilleure nouvelle que pouvaient attendre les journalistes nippons. Je ne suis pas Japonais et me garderai bien de porter un jugement définitif, mais les échos que me rapportent mes amis reporters, à Tokyo, ne sont pas rassurants. Peut-être faut-il attendre que cette loi soit pleinement appliquée pour arbitrer. En tout cas, le drame de Fukushima rappelle que les médias ont un rôle immense à jouer : transmettre les informations d’urgence, en cas de crise nucléaire, puis faire la lumière. Sans cette pression « saine » des journalistes – on est payé pour donner des faits, pas des éléments de langage – ça peut ne pas tourner rond. J’en profite pour louer le courage de quelques confrères nippons qui sont allés jusqu’à se faire embaucher comme décontaminateurs pour enquêter sur les conditions de travail au sein de la centrale de Fukushima. Tous n’ont pas eu le droit d’être publiés à la hauteur de ce qu’ils méritaient. J’en parle dans le livre.
– JFM : Vous rencontrez Kaori Suzuki qui dénonce le silence des mères, pourtant inquiètes. Certaines lèvent bien la voix mais sont muselées, par exemple Mari Takenouchi, journaliste free lance et maman, qui se bat pour qu’on mette le plus loin possible de la région, femmes et enfants. L’avez-vous rencontré ?
FX. Ménage : Je connais le travail, saisissant, de Mari sur Fukushima, mais mon intention, concernant le combat des mères pour préserver la santé de leurs enfants, était d’aller à la rencontrer de femmes de l’ombre qui ne s’expriment pas publiquement ou si peu. Je voulais questionner cela. Comprendre le travail au quotidien de ces « mères courage », qui veulent plus de transparence pour la nourriture de leurs enfants, plus de suivi médical, et qui se battent avec de maigres moyens.
– JFM : Kaori Suzuki fait partie de ces bénévoles qui vont tester la nourriture de Fukushima, dont on découvre que certains aliments contiennent une teneur, infime et autorisée, de césium, alors que les autorités font en sorte qu’il n’y a « aucune raison de douter » des contrôles. Pourquoi laisser des individus ingérer, même en quantité minime des aliments contaminés, à long terme qu’est-ce que ça donnera ? Et vous-même, auriez-vous croqué dans une tomate de Fukushima ?
FX. Ménage : Les aliments poussant dans la région de Fukushima semblent être particulièrement contrôlés. De là à dire qu’ils le sont tous ? J’ai suivi pendant plusieurs années le travail effectué par une association qui relève ses propres taux de radioactivité dans l’alimentation locale. Les résultats confirment une diminution sensible des traces radioactives au bout d’un an. Et cela, pour la plupart des produits. Mais pour les champignons notamment, il y a encore danger. Est-ce que je mangerais des tomates de Fukushima ? Une fois, pourquoi pas. Tous les jours ? Non.
– JFM : Continuerez-vous à enquêter sur Fukushima ? A éventuellement sortir un livre dans 5 ans ?
FX. Ménage : Je n’ai pas le sentiment d’avoir terminé cette enquête. Dans 5 ans, je vous tiendrai la même réponse, selon toute vraisemblance. Cette tragédie va durer des décennies. Je vais continuer à retourner sur place. Constater les améliorations. Reprendre contact avec les personnes que je suis depuis le début. Ce livre est un début.
– JFM : Qu’est-ce qui vous a, au cours de ces 5 ans d’enquête, le plus bouleversé ? Et ce qui vous a donné le sourire ?
FX. Ménage : Nous sommes au pire moment de la catastrophe nucléaire, la classe politique française livre un discours alarmiste. On imagine la plus grave catastrophe nucléaire de tous les temps. Et nous, pendant ce temps, nous croisons un couple de japonais en train de faire son jogging dans les rues de Sendai, à 90 kilomètres de la centrale. Il pleut, il neige même. C’est théoriquement le pire moment pour sortir dehors, car la radioactivité, à considérer qu’elle soit au-dessus de nos têtes, se fixe encore plus facilement via la pluie. Ce couple me regarde, on échange quelques mots. Leur parole ? « Que voulez-vous qu’on fasse ? On ne va pas s’arrêter de vivre ».
– JFM : Enfin pour finir, une émission sur le Japon prochainement dans « Capital » ?
FX. Ménage : Le Japon est la troisième puissance économique mondiale. Nous en parlons très souvent ! Pour évoquer le secteur du luxe, de la gastronomie, pour traiter des nouvelles technologies… Cet incroyable pays est un laboratoire pour certains produits, certaines techniques de ventes, pour sa politique industrielle aussi. Croyez-moi, le Japon est souvent filmé par les équipes de Capital. D’ailleurs, l’une de nos reporters s’envole dans quelques semaines pour Tokyo.
Un grand merci à François-Xavier MENAGE d’avoir répondu à nos questions !
Le livre « Fukushima : le poison coule toujours » (Editions Flammarion) est disponible en librairie et retrouvez le présentateur dans « Capital » un dimanche sur deux à 20h55 sur M6.
Photo: François-Xavier Ménage lors du colloque du 11 février 2016 « La place des femmes en entreprise et en politique: quels défis pour la France et le Japon? » à l’Assemblée Nationale. Blackcat/Japan FM