Sumiteru TANIGUCHI avait 16 ans lorsque Fat Man frappa la ville de Nagasaki de plein fouet. Devenu depuis une figure emblématique de la lutte contre les armes nucléaires, l’homme est décédé des suites d’un cancer ce 30 août à l’âge de 88 ans.
Sumiteru TANIGUCHI, comme la plupart des hibakusha (victimes de la bombe atomique, en français), était très heureux lorsqu’il apprit que l’ONU avait adopté, à 122 voix pour, le Traité d’interdiction des armes nucléaires en juillet dernier, souhaitant alors que davantage de pays adhèrent au traité. Il se trouvait pourtant à l’hôpital, conséquence de la bombe, lorsque la nouvelle lui est parvenue. Mais ce traité était une des plus grandes batailles de sa vie. Car Sumiteru TANIGUCHI avait 16 ans et était un jeune facteur à Nagasaki en 1945. Lorsque la deuxième bombe atomique de l’Histoire a été envoyée sur Nagasaki, lui se trouvait sur son vélo à 1,8km de l’hypocentre. Se trouvant dos à la bombe, il est propulsé par le souffle de l’explosion. A son réveil, il découvre avec horreur que la peau de tout son bras, de l’épaule au doigt, pendait telle une serpillère. Mais s’il ne semble ressentir aucune douleur à cet instant, il touche ensuite son dos pour se rendre compte qu’il n’avait plus sa chemise avant de découvrir sur sa main une étrange matière noire et visqueuse. Et puis d’être le spectateur de l’horreur autour de lui. C’est seulement trois mois plus tard qu’il sera hospitalisé durant trois ans et demi, dont un an et neuf mois allongé sur le ventre afin de soigner son dos gravement irradié. Une hospitalisation cauchemardesque au cours de laquelle la douleur était telle que Sumiteru TANIGUCHI a demandé à plusieurs reprises à mourir. Dans le même temps, il devient le symbole des hibakusha quand l’armée américaine filme ses soins, divulguant par la même occasion au monde entier les conséquences de la bombe atomique sur l’Homme. S’il lui faut une décennie pour redevenir mobile, Sumiteru TANIGUCHI lance rapidement un mouvement anti-nucléaire avec d’autres hibakusha et participe également aux activités du Conseil des survivants de la bombe atomique de Nagasaki depuis sa fondation en 1956. Si Sumiteru TANIGUCHI s’est fait à l’idée de vivre avec ses souffrances, il dirige sa colère contre la guerre et les armes nucléaires qu’il cherche à faire abolir en devenant un activiste engagé. Très actif, il devient en 2006 le Président du Conseil des survivants de la bombe atomique de Nagasaki et en 2010, il co-préside la Confédération des organisations japonaises des victimes de la bombe A et H (Nihon Hidankyo). Convaincu que seule la parole des victimes des bombes atomiques est la plus efficace pour témoigner des horreurs et des conséquences des armes nucléaires, Sumiteru TANIGUCHI n’hésitait pas à dévoiler son corps meurtri par les radiations. C’est ainsi qu’en 2010, il prend la parole au siège de l’ONU, New York, dans le cadre d’une conférence pour le Traité de non-prolifération des armes nucléaires, montrant cette photo de son dos appelant alors l’assemblée à ne pas détourner le regard pour qu’elle prenne conscience de l’horreur des armes nucléaires. Il participe également aux commémorations annuelles de 1974 et de 2015 pour prendre la parole au nom des hibakusha et prononcer le discours d’engagement pour la paix. Lors de la cérémonie de 2015, marquant les 70 ans des bombardements, Sumiteru TANIGUCHI n’avait pas hésité à interpeler le Premier ministre Shinzô ABE, critiquant sa volonté de faire passer ses lois sécuritaires autorisant les Forces d’Autodéfense japonaises à intervenir à l’étranger, qu’il estime comme une menace à la paix et lui disant également de ne pas toucher à la Constitution. Cette même année, il avait été pressenti pour obtenir le Prix Nobel de la Paix (décerné au Quartet du dialogue national, Tunisie).
Plus tôt cette année, un journaliste du Mainichi Shimbun l’avait revu dans le cadre d’une série de reportages sur les hibakusha et Sumiteru TANIGUCHI lui confiait alors espérer vivre assez longtemps pour voir toutes les armes nucléaires éradiquées et voir un monde sans guerre. Alors que le Traité d’interdiction a été adopté par 122 pays, il n’a cependant pas été ratifié par les détenteurs de l’arme nucléaire, et peu avant que la menace d’une guerre nucléaire ne plane désormais dans la région de l’Asie Pacifique, Sumiteru TANIGUCHI s’est finalement éteint. Pourvu que le souhait de Sumiteru TANIGUCHI et des hibakusha ainsi que leurs souffrances ne soient jamais oubliées.
Son récit en vidéo (traduit en anglais) est à retrouver sur le site du Mémorial de la Paix d’Hiroshima et Nagasaki.
Sources : Mainichi Shimbun, The New York Times, BBC
Photo : Sumiteru Taniguchi tenant la photo prise en 1945 de son dos, via The New York Times ©Eugene Hoshiko/Associated Press