L’artiste-maître des sculptures en tissu fête cette année ses 80 ans ainsi que 50 ans de carrière, et pour l’occasion, est de retour en France pour une nouvelle exposition à la Maison de la Culture du Japon à Paris. A voir jusqu’au 3 mars 2018.
Le nom semble peu connu en France et pourtant, Yûki ATAE y a déjà exposé ses œuvres deux fois : la première au cours d’une exposition collective en 1991, « Poupées d’hier, Créations d’aujourd’hui » au musée des Arts Décoratifs de Paris, puis en 2006 pour sa première exposition en solo au musée Baccarat. Cependant, Yûki ATAE est un artiste très connu au Japon au point d’y avoir un musée dédié à Kawaguchiko pour ses poupées en tissu, ou plutôt devrait-on dire ses sculptures de tissu. Des sculptures en tissu très réalistes, dégageant une certaine nostalgie, mélancolie. Pour ceux qui avaient manqué sa dernière exposition en France, en 2006 à la galerie-musée Baccarat, c’est par le mot de réalisme que nous pourrions décrire l’œuvre de toute une vie de l’artiste Yûki ATAE. Des poupées singulières, qui contrairement aux autres poupées, du moins en Occident, n’ont pas vocation de jouet, raison pour laquelle elles sont appelées scuptures de tissu. Tels des enfants pour Yûki ATAE, ce dernier explique qu’il « leur donne naissance » et que « aucune d’entre elles ne [le] satisfait, à [sa] grande honte. » ajoutant également que « chacune est [son] alter ego, et les plus imparfaites sont aussi les plus chères à [son] cœur. » ! Pour cette deuxième exposition française, le public a droit cette fois à près de 100 œuvres de Yûki ATAE, sur une estimation de 600 sculptures de tissu réalisées tout au long des 50 ans de carrière de l’artiste. Une vie quasi-intégralement dédiée à ses poupées de tissu et dont les quelques œuvres présentées sont surprenantes de par l’expression dégagée.
« Hina-Matsuri » au premier plan, 2006, et au second plan « Enfant câlin », 2006, série « Un monde nostalgique » Yûki Ataë ©2018 Japan FM.
Si les sculptures de tissu semblent offrir un regard tant teinté de nostalgie c’est que Yûki ATAE est né en 1937 et il a donc vécu une enfance en pleine Seconde guerre mondiale et il aura vécu principalement durant l’ère Shôwa (1926-1989). Une période qui l’a profondément marqué au point que l’artisan et artiste en a dédié une série de poupées sur ce thème, « Mémorial de l’ère Shôwa ». Toutefois ses premières œuvres ne sont pas du tout inspirées de cette période mais des contes populaires et de l’imaginaire en atteste sa toute première sculpture en 1970 « Cendrillon », puis « Le Songe d’une nuit d’été » en 1979 ou encore ses créations inspirées de la littérature française telle « Zoé » issue de « L’Assommoir » d’Emile ZOLA.
« Zoé », 1977, inspirée de « L’Assommoir » de Zola, série « Une histoire de rêve », Yûki Ataë ©2018 Japan FM.
C’est à partir du milieu des années 1980 que Yûki ATAE se dirige vers un Japon traditionnel, un « monde nostalgique » dans lequel l’artiste va représenter des scènes de vie du Japon d’antan, en s’intéressant à une période antérieure à sa naissance, l’ère Meiji. Des scènes simples du quotidien des Japonais, dont certaines disparues, à travers ses sculptures de tissu, sur lesquelles nous devinons leurs origines sociales ou leurs coutumes tant Yûki ATAE porte attention aux détails en créant ses figurines. Ainsi, il a réalisé « la Montagne de l’Ubasute », en référence à une ancienne pratique autrefois répandue dans le pays qui consistait à abandonner les personnes âgées pour mourir en montagne car jugées « inutiles » pour la société en temps de famine. Dans sa réalisation, l’artiste dépeint avec réalisme la souffrance de la séparation entre une mère et son fils, ce dernier étant contraint d’abandonner la première.
Détail sur le regard du fils dans « la Montagne de l’Ubasute », 2010, de la série « Un monde nostalgique » de Yûki Ataë. ©2018 Japan FM.
S’il dépeint avec nostalgie cette période de l’histoire du Japon, il a aussi rendu hommage de façon saisissante à son époque à travers un « Hommage au cinéaste Yasujirô OZU » dans une série de sculptures dédiées et qui avait déjà été présentée en France lors de l’exposition de 2006, puis à travers « Mémorial de l’ère Shôwa » dans lequel il n’est pas seulement question de nostalgie à l’égard d’une période révolue mais aussi un regard plein de tendresse pour cette période économiquement difficile. S’il aurait souhaité oublier cette période, il transmet ses souvenirs en mettant en scène ses figurines de tissu. On y voit alors des souvenirs tant tristes, en raison de la pauvreté et d’ailleurs on peut y voir une référence à « La Tombe des lucioles » d’Akiyuki NOSAKA / « Le Tombeau des lucioles » d’Isao TAKAHATA, que des souvenirs plus joyeux et on peut y lire aussi son admiration et son profond respect pour l’Empereur Hirohito, dont le statut venait de passer de Dieu vivant sur Terre à celui de symbole à la fin de la Seconde guerre mondiale. Mais notre époque actuelle n’est pas négligée par Yûki ATAE en atteste la dernière série « Vivre l’instant présent » dans lequel l’artiste a un regard plein d’optimisme sur les enfants d’aujourd’hui ! Si ces derniers n’ont plus cette vie difficile d’autrefois, l’artiste leur souhaite à tous de devenir adultes en vivant pleinement leur enfance avec les expériences heureuses comme malheureuses, d’où un clin d’œil à deux adultes qui ont conservé leur âme et leur cœur d’enfant en fin d’exposition : George TOKORO et Takeshi KITANO !
Reconnaissez-vous Takeshi Kitano ? « Oïra !», 2017, série « Vivre l’instant présent », Yûki Ataë ©2018 Japan FM.
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Kawaguchiko Muse museum à 923 Yagisaki Park, Kodachi, Fujikawaguchiko-machi, Minamitsuru-gun, 401 – 0302 Yamanashi-ken (〒401-0302 山梨県南都留郡富士河口湖町小立923 八木崎公園 ).
Photo : « Kotatsu », 1994, série « Un monde nostalgique », Yûki Ataë. ©2018 Japan FM.