Après un rapprochement historique et surprenant le 12 juin dernier entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, comment se positionne le Japon ? Devrait-on croire en la dénucléarisation totale ? Un point sur la situation.
Un démantèlement de toutes les armes nucléaires exigé
Après des mois de provocation par déclarations interposées ou via les réseaux sociaux, le dirigeant nord-coréen et le Président américain se sont rencontrés et ont signé un accord historique. La Corée du Nord s’est engagée le 12 juin vers une « dénucléarisation totale de la péninsule coréenne », en échange, sa sécurité doit être garantie. Et cela a commencé par l’annonce par le Président Donald TRUMP de la fin pour une durée indéterminée des exercices militaires communs avec la Corée du Sud. Cette rencontre avait alors pris par surprise Shinzô ABE, plutôt en faveur d’une pression maximum sur Pyongyang car méfiant à l’égard de son voisin, le laissant dans l’inquiétude que l’accord soit signé uniquement dans l’intérêt des américains mais pas nécessairement dans un intérêt collectif et donc des Japonais. Mais si le rapprochement est à saluer, peut-on croire en KIM Jong-un ? En effet, par le passé plusieurs gestes de rapprochements sont à signaler et chaque fois ces tentatives se sont soldées par revirement de la part de Pyongyang et donc d’un échec. Mais quelques jours avant le sommet historique, la Corée du Nord semblait avoir fait preuve d’une main tendue lorsque le pays a invité plusieurs journalistes du monde entier à assister à la destruction du site nucléaire souterrain de Punggye-Ri, là où se sont déroulés les derniers essais nucléaires controversés. En réalité, le site serait devenu inutilisable suite à l’essai du 3 septembre 2017, s’effondrant partiellement d’après des scientifiques chinois. Pratique alors pour annoncer la fermeture du site dès le mois d’avril 2018 alors que l’idée d’un rapprochement avec les Etats-Unis est mise sur la table ! De plus, dans l’accord signé conjointement entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, rien ne définit précisément ce processus de dénucléarisation totale. Or, des nouvelles informations ont été divulguées ce jour par l’AFP selon lesquelles la Corée du Nord entreprendrait actuellement des travaux d’amélioration dans son centre de recherche nucléaire de Yongbyon, pouvant alors potentiellement signifier une reprise future des essais nucléaires. Si ces derniers jours le Japon se posait la question du réel intérêt à maintenir le déploiement des systèmes antimissiles américains pour garantir la sécurité du pays (décidée fin 2017 par le Premier ministre et prévu en 2023), cette dernière annonce pourrait bien donner raison à son Premier ministre.
Le cas des Japonais kidnappés par la Corée du Nord
Mais c’est justement ce sujet qui semble tempérer le Japon et qui demeure sa priorité pour toute négociation future avec la Corée du Nord. Suite au sommet de Singapour, et en dépit d’une certaine opposition préalable du Premier ministre japonais Shinzô ABE, ce dernier a finalement déclaré le 18 juin à la Diète être prêt à rencontrer KIM Jong-un déclarant : « [ne vouloir] rater aucune chance de résoudre la question des enlèvements ». Peu avant le sommet de Singapour, Shinzô ABE avait même fait le déplacement jusqu’au Etats-Unis avant la rencontre TRUMP-KIM pour être certain que ce sujet crucial soit abordé par le Président américain. Pour rappel, en 2002, Pyongyang reconnaissait l’enlèvement de 13 ressortissants japonais dans les années 1970 et 1980, tandis que le Japon en déclare 17. Parmi les treize déclarés enlevés, cinq ont été rendus à leurs familles respectives et huit ont été déclarés morts sans que leurs corps n’aient jamais été renvoyés. Enjeu majeur pour le Japon, c’est pour cette raison qu’après le sommet du 12 juin le Premier ministre a déclaré que « la dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible » est la condition pour une rencontre bilatérale future avec KIM Jong-un. Il indique même être prêt à ce que le Japon finance en partie la dénucléarisation de la Corée du Nord, mais que cela ne se fera qu’en réglant la question centrale des Japonais enlevés. Sauf que d’une part, bien qu’effectivement abordé par le Président américain le 12 juin, ce sujet n’était pas une priorité pour les Etats-Unis et ne figure pas dans l’accord final, et d’un autre côté, le 25 juin, la Corée du Nord a fait savoir, sans jamais mentionner le sujet des Japonais enlevés, qu’aucun rapprochement n’est à espérer si le Japon persiste à continuer « ses gestes d’hostilité à l’égard de la Corée du Nord à travers des exercices militaires et le renforcement de sa capacité militaire ». Avant cette déclaration, le Japon avait pourtant fait un geste de leur bonne foi en annulant pour tout le reste de l’année fiscale les exercices d’évacuation en cas d’attaque par missile de la Corée du Nord, initiés depuis mars 2017.
Le Japon poursuit donc les négociations en proposant ce 26 juin à la Corée du Nord non seulement une aide financière mais aussi de la main d’œuvre experte dans le domaine du nucléaire pour participer et assister au démantèlement de toutes les armes nucléaires. Entre temps, c’est le Président Donald TRUMP lui-même qui s’est contredit il y a quelques jours en désignant la Corée du Nord comme étant toujours « une menace extraordinaire » alors qu’à la fin du sommet du 12 juin, il twittait « il n’y a plus de menace nucléaire de la part de la Corée du Nord ». Le Japon doit-il continuer à dépendre de son allié historique dont le dirigeant actuel est imprévisible ou doit-il négocier lui aussi de façon bilatérale et assurer sa propre sécurité ? Il se peut que la paix entre les deux pays voisins ne soit que d’ordre financier, une nécessité pour l’avenir de Pyongyang. Selon Nikkei Asian Review, la Corée du Nord pourrait exiger une compensation financière de la part du Japon pour avoir occupé et annexé la Corée au début du XXème siècle durant 35 ans, à l’instar de la Corée du Sud qui l’a perçue sous forme d’aide financière lors de la signature du Traité nippo-sud-coréen de 1965, et ainsi normaliser les rapports diplomatiques entre le Japon et la Corée du Nord. Si pour l’instant aucun calendrier de rencontre n’est fixé, il semble que le ministre des Affaires étrangères du Japon tentera une rencontre bilatérale avec son homologue nord-coréen en marge de l’ASEAN prévu fin juillet à Singapour.
Sources : Asahi Shimbun, The Japan Times, Nikkei Asian Review, Challenges, Le Monde.
Photo : Le Premier ministre Shinzô Abe rencontre les familles des Japonais enlevés le 28 mai 2018 via Japan Gov ©Japan Kantei.