La rétrospective « Foujita, œuvres d’une vie (1886-1968) » s’ouvre à la Maison de la Culture du Japon à Paris, proposant des œuvres inédites en France et même en dehors du Japon. L’occasion de revenir à travers ces œuvres et des ouvrages sur une période contestée de sa vie, celle où il peint des tableaux de guerre.
En 2018, c’était les 50 ans de la mort du peintre Tsuguharu, baptisé en 1959 Léonard, FOUJITA. A cette occasion, nous avions eu en France, son pays d’adoption et où il est enterré, une exposition consacrée aux œuvres peintes lors de son premier séjour parisien -« FOUJITA, les années folles (1913-1931) » au Musée Maillol, période la plus connue des Français et qui lui a permis d’être renommé dans le monde. Au Japon, une importante rétrospective réunissant ses œuvres conservées au Japon, aux Etats-Unis et en France, avait été exposée à Tôkyô et à Kyôto. C’est un condensé de cette exposition, seules 36 œuvres soigneusement choisies sont présentées, mais une première rétrospective en France consacrée à FOUJITA qui ouvre ses portes à la MCJP en clôture de Japonismes 2018. Choix totalement justifié que d’évoquer le plus français des peintres japonais -ou inversement, pour célébrer cette amitié franco-japonaise. Né Japonais mais mort Français, FOUJITA est volontiers associé en France à l’art des années 1920, c’est pourtant aussi dans ses œuvres ultérieures que nous découvrons à quel point le peintre s’est nourri tout au long de sa vie de différents courants artistiques.
Vue de l’exposition « FOUJITA, œuvres d’une vie » à la MCJP, montrant les nus qui ont offert au peintre sa renommée internationale ©2019 Japan FM.
Ainsi, le public français connaît mal sa production artistique après cette période, une méconnaissance que cette rétrospective tente de rectifier à travers des œuvres peintes ensuite, comme lors de son voyage en Amérique Latine. Après un premier bref retour en France, il doit rentrer presqu’aussitôt au Japon en raison de la Seconde guerre mondiale. La situation n’y est guère meilleure et en tant qu’artiste, tout comme la plupart de ses confrères japonais, il est recruté comme peintre de guerre. Si beaucoup se demandent encore aujourd’hui s’il était un peintre à la solde de la propagande, les commissaires de cette rétrospective, Yôko HAYASHI et Sylvie KREBS, y voient au contraire « un plaidoyer contre la guerre ». Fait exceptionnel, pour la première fois en France et à l’étranger, deux œuvres de guerre ont été prêtées pour cette exposition. Il s’agit de « Nos frères de Saipan, fidèles jusqu’à la mort » et « Morts héroïques sur l’île d’Attu », deux épisodes tragiques de l’histoire du Japon durant la guerre, l’un en raison du suicide collectif de 8 000 civils, l’autre car elle représente un massacre résultant d’une défaite. Deux évènements auxquels FOUJITA n’a pas assisté mais qu’il a peint avec son imagination, et dont les tableaux révèlent pourtant toute la détresse et le chaos. Des peintures qui contrastent avec la création de FOUJITA durant les Années Folles, et en contemplant ces deux œuvres, il est difficile en effet de croire qu’elles aient pu être une ode à la guerre ni encourager les soldats tant elles reflètent une tragédie. Ce propos est nuancé par l’historien de l’art Michael LUCKEN dans le catalogue de l’exposition en rappelant le contexte de la création du tableau « Morts héroïques sur l’île d’Attu ». Cette bataille qui s’est soldée par un échec pour l’armée japonaise, devait être peinte, une commande donc, pour glorifier le « martyre collectif ».
Vue sur les deux peintures de guerre de Foujita exposées pour la première fois en France à la MCJP ©2019 Japan FM.
Ce qui a valu à FOUJITA d’être considéré comme un collaborateur de la propagande est que selon Kanoko YUHARA dans « FOUJITA, lettres d’amour de Paris », ses premières peintures de guerre semblent indiquer que « l’artiste n’a pas encore une conscience nette des réalités de la guerre ». Ces premières œuvres, FOUJITA les a réalisées durant la première partie de son retour au Japon, dans la continuité des tableaux peints lors de son séjour parisien. L’artiste a donc évolué dans ce genre, surtout à partir de 1942, puisque Michael LUCKEN indique que « alors que son goût personnel l’entraînait plutôt du côté des peintres du Quattrocento et de la Haute Renaissance, le déchaînement de la violence l’a soudain rapproché de GÉRICAULT et DELACROIX ». C’est là où il ne faut pas négliger l’aspect éducatif pour l’artiste qu’est FOUJITA. Kanoko YUHARA reprend une déclaration de l’artiste à l’époque selon laquelle il avait beaucoup appris de cette expérience de peintre de guerre, et selon Michael LUCKEN de s’être dépassé, l’autrice prenant soin de rappeler néanmoins l’absence de liberté d’expression au Japon. Décrit comme un artiste ayant l’obsession de peindre, il faudrait y voir la volonté de FOUJITA d’apprendre un nouveau genre de peinture et de faire évoluer son art. Mais il est également probable que cette expérience l’ait bien plus bouleversé que ce qu’il a pu déclarer publiquement d’après le livre de Kanoko YUHARA. D’autant qu’après-guerre, le peintre a été accusé de complicité de crime de guerre, notamment par ses pairs, avant d’être blanchi en 1947, mais qui ont meurtri FOUJITA au regard de son départ définitif pour la France, un rejet de son identité japonaise à travers sa naturalisation puis son baptême, après lequel il se fera connaître sous le nom de Léonard FOUJITA.
Vue de l’exposition « Foujita, œuvres d’une vie (1886-1968) » à la MCJP. A partir des années 1930, s’opère un changement de style dans la peinture de Foujita ©2019 Japan FM.
En dépit de la documentation mentionnée dans le livre de Kanoko YUHARA et d’un débat entre spécialistes sur cette question retranscrit dans le catalogue de l’exposition, nous ne saurons de manière exacte ce que représentait cet art de guerre pour FOUJITA. Cela dit, il était « persuadé (…) de les exposer à l’étranger » puisqu’il les a signés après-guerre mais entretemps il a été recruté par l’armée américaine, ce qui lui a été également reproché, pour collecter les tableaux de guerre de l’armée japonaise, conservés en qualité de prise de guerre aux Etats-Unis avant d’être prêtés sans limitation de durée au Japon et conservés depuis au Musée national d’art moderne de Tôkyô. 50 ans après sa mort, ce rêve se concrétise enfin ! Et les commissaires de l’exposition « FOUJITA, œuvres d’une vie » invitent les visiteurs à juger d’eux-mêmes si « Nos frères de Saipan, fidèles jusqu’à la mort » et « Morts héroïques sur l’île d’Attu » sont des peintures de propagande.
A voir « Foujita, œuvres d’une vie (1886-1968) » informations pratiques dans votre agenda
A lire pour en savoir plus : le catalogue de l’exposition « Foujita, œuvres d’une vie (1886-1968) », réunissant essais et débats par des spécialistes du peintre, aux éditions Gourcuff Gradenigo à la MCJP et en librairies; et « Foujita : lettres d’amour de Paris » de Kanoko YUHARA, nouvel éclairage sur le peintre à travers des documents dont des inédits, disponible depuis septembre 2018 aux éditions L’Harmattan.
Photo : Foujita vous accueille à la MCJP pour la rétrospective qui lui est dédiée ©2019 Japan FM.