Entretien avec S.E.M. Masato KITERA, Ambassadeur du Japon en France

De juillet 2018 à fin février 2019, la France célèbre 160 ans d’amitié avec le Japon à travers Japonismes 2018. Son Excellence Monsieur KITERA, Ambassadeur du Japon en France depuis 2016, a accepté de répondre à quelques questions.

Nommé en avril 2016, l’actuel Ambassadeur du Japon en France connaît très bien la France. Son Excellence Monsieur Masato KITERA y a vécu durant une partie de son enfance puis y a étudié en tant que diplomate. Après qu’un premier bilan de la saison culturelle Japonismes 2018 ait été dévoilé, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec l’Ambassadeur du Japon en France, le 14 février 2019, pour en savoir un peu plus sur cette amitié franco-japonaise.

JFM : La saison culturelle Japonismes 2018 – Les âmes en résonnance touche bientôt à sa fin. Vous êtes Ambassadeur du Japon en France depuis 2016, et à ce titre, vous résidez d’ailleurs dans un lieu symbolique, reflet de cette amitié franco-japonaise (ndla : la résidence de l’Ambassadeur du Japon en France a été conçue en 1967 par Junzô SAKAKURA et aménagée par Charlotte PERRIAND). Mais votre lien avec la France est encore plus profond puisque durant votre enfance, vous avez suivi votre père en France lorsqu’il y a été envoyé en qualité d’attaché d’ambassade à Paris. Puis, vous avez également étudié à l’ENA ! Quelle est votre France à vous ?

 

S.E.M. KITERA :  Avant de venir à Paris, j’ai été trois ans et demi Ambassadeur du Japon en Chine, à Pékin. En arrivant à Paris, j’ai dit à mes amis : enfin je suis arrivé à Paris après un long détour. C’est un grand honneur et un grand plaisir d’être nommé Ambassadeur du Japon en France. Pour moi, personnellement, c’est un pays que je connais très bien, et comme vous l’avez dit, mon premier contact avec la France, c’est quand j’avais six ans. Je suis resté avec mon père en France et en Belgique, au total pendant un peu plus de quatre ans. Et je suis rentré et je n’ai pas eu l’occasion de pratiquer le français, mais je suis entré au ministère des Affaires étrangères et je suis arrivé à Paris comme stagiaire en 1977, il y a 42 ans. C’est mon quatrième séjour en France comme diplomate et j’ai pu avoir beaucoup d’occasions pour connaître la France. Donc par rapport à mes autres collègues ambassadeurs, peut-être je connais mieux la France et je connais mieux les Français ! Et ce que je note c’est que la France occupe, si j’ose dire, la meilleure partie de l’Europe. Mais les Français ne sont jamais satisfaits, ils ne sont pas toujours contents. Alain SOUCHON chantait « Jamais Content » quand je suis arrivé en France ! Je sais aussi de quoi les Français sont contents, de quoi les Français sont mécontents. Depuis mon arrivée, j’essaie d’observer la France, les Français, les Françaises, comment ils vivent, de quoi ils sont heureux, qu’est-ce qu’ils demandent. Pour un diplomate, la France est vraiment un pays très intéressant. Comme vous l’avez dit, depuis la deuxième moitié de l’année dernière, nous vivons Japonismes 2018 et c’est aussi un grand honneur et un grand plaisir pour moi d’être Ambassadeur ici à Paris quand le Japon entretient toutes ces manifestations culturelles, ici, en France.

 

JFM : Quel souvenir Son Excellence Masato KITERA, Ambassadeur du Japon en France, souhaiterait laisser pour la postérité ?

 

S.E.M. KITERA : C’est une occasion exceptionnelle pour les Français, les Parisiens, d’avoir toute une série d’expositions et de performances du Japon ici. Donc je souhaite vivement que les échanges et la  compréhension mutuelle de nos deux pays atteignent un niveau très élevé, plus élevé qu’auparavant. Et toutes ces expériences servent à renouer davantage de liens amicaux entre le Japon et la France.

 

JFM : Vous dites régulièrement cette phrase : « Ce sont les Français qui comprennent le mieux la culture japonaise, et ce sont les Japonais qui comprennent le mieux la culture française. », pouvez-vous nous préciser vos propos ?

 

S.E.M. KITERA : Eh bien les Japonais et les Français, nous sommes géographiquement aux deux extrémités de grands continents mais psychologiquement il y a des points communs. Il y a des éléments qui nous attirent l’un vers l’autre. Je peux vous citer un exemple de similitude : quand il fait beau et que vous avez la pluie, en français on dit « c’est le diable qui bat sa femme et marie sa fille », en japonais c’est « le mariage de renards ». Le diable et le renard, dans les deux pays, c’est le pouvoir surnaturel. Et il y a le mot mariage. Là, les hommes et les femmes cultivent les végétaux, du blé ou du riz et s’inquiètent qu’il y ait suffisamment de pluie. Les Japonais et les Français sont conscients de l’état de la pluie qu’ils reçoivent. Alors je tiens à donner une précision, cette expression n’existe pas dans la langue anglo-saxonne (ndla: S.E. ajoute qu’en espagnol, il existe aussi une expression similaire.). Les Japonais et les Français sont attachés à la terre et ils essaient de vivre avec la nature, c’est ce sentiment qui donne cette similitude dans nos expressions. Je répète aussi cette phrase parce qu’en réalité, depuis de longues années, les Japonais ont reçu beaucoup d’éléments pour développer l’art ou la société, le développement de recherches et autres, beaucoup d’influences de la France. Les premiers bâtiments pour produire des vaisseaux, c’étaient des opérations en provenance de la France. Donc la France a beaucoup influencé dans la modernisation de notre pays. Par exemple, le droit civil a été introduit par un chercheur français qui s’appelle (Gustave Émile) BOISSONADE, et le Japon a réussi à introduire le code civil au style napoléonien. Dans l’art aussi, le Japon a influencé les grands peintres de l’impressionnisme, les avant-gardes de l’époque. Donc, avec Christian MASSET qui était alors secrétaire général du Quai d’Orsay quand nous avons commencé ce comité de pilotage de Japonismes 2018 (ndla : l’Ambassadeur du Japon en France précise que Christian MASSET est un ancien ambassadeur de France au Japon, qu’il connaît très bien), nous avons beaucoup parlé et Christian a souligné le côté innovatif des éléments japonais. Même au temps du premier japonisme, fin XIXème siècle, ce qui venait du Japon contenait des éléments nouveaux, précurseurs, innovatifs. Même aujourd’hui, ce côté est préservé dans nos échanges. Les Français reconnaissent des éléments nouveaux, des éléments précurseurs, innovatifs de ce qui vient du Japon.

 

JFM : Avec Japonismes 2018, les Français ont eu la chance de découvrir une grande diversité de la culture japonaise à travers la gastronomie, l’art de vivre, l’art traditionnel comme contemporain, l’artisanat, les spectacles vivants mais aussi des séminaires et des matsuri ! Un programme riche et exceptionnel. Le directeur général de Japonismes a déjà dressé un premier bilan en annonçant près de 3 millions de visiteurs pour tout le programme officiel  et associé de Japonismes en France. Concrètement, quel est le bénéfice d’un évènement comme Japonismes pour le Japon ?

 

S.E.M. KITERA : Le bénéfice est énorme. Ce qui est très populaire au Japon, par exemple teamLab à la Villette a connu 300 000 entrées, ça fait déjà 10% de cette  attirance générale -teamLab c’est un rassemblement de la nouvelle technologie numérique, ce qui nous rend un plaisir immense. Et ce plaisir immense a été partagé par les Français. On a beaucoup parlé d’ITO Jakuchû, c’est un peintre du XVIIIème siècle, fin XVIIIème siècle, mais qui commence à être connu par les Japonais et est encore méconnu par les Français. Mais avec cette exposition au mois de septembre au Petit Palais, grâce à Monsieur LERIBAULT, le directeur du musée, le musée a fait 75 000 entrées.  Beaucoup de Français ont apprécié la finesse de la forme et des couleurs de ce grand peintre. Je crois que c’était une révélation pour les Parisiens. Vous avez aussi FOUJITA en ce moment à la Maison de la Culture du Japon et l’année dernière au Musée Maillol pour les œuvres des années Folles (1920) et à la Maison de la Culture du Japon on présente une série de 36 tableaux qui représentent la vie de FOUJITA. Les Parisiens peuvent tracer un peu la vie de ce peintre exceptionnel. Je tiens à remercier tous les présidents, directeurs des institutions françaises, des grands musées, des musées nationaux, des musées parisiens, des théâtres ou des salles de musique comme la Philarmonie de Paris.

 

JFM : Lors de la conférence de presse Japonismes, le président de la Japan Foundation Hiroyasu ANDO déclarait que « Le Japon déménagera à Paris. (…) Même si vous allez au Japon, en tant que touriste français, vous ne serez pas en mesure de voir la culture japonaise de manière si concentrée. (…) La culture japonaise n’a jamais été introduite dans un pays étranger d’une telle manière, à une telle échelle et de façon si concentrée ». Vous qui représentez les Japonais de France, vous ont-ils exprimé leurs avis sur Japonismes, et si oui, quel est-il ?

 

S.E.M. KITERA : Monsieur ANDO, président de la Fondation du Japon, a beaucoup travaillé pour ce projet et il doit en être fier en voyant le résultat qu’il a pu donner. Je voudrais souligner la qualité des œuvres d’art qui ont été apportées du Japon. Par exemple, ITO Jakuchu ou le Paravent du Dieu du Vent et du Tonnerre (ndla : pour « Trésors de Kyoto : trois siècles de création Rinpa »), les vases et les figures de Jômon, je ne peux pas tous les citer mais vous avez vu, le Japon a apporté à Paris beaucoup de Trésors Nationaux et le meilleur  des Biens culturels importants. La qualité des œuvres d’art qui ont été apportées ici et la qualité des arts performants qui ont été reproduits ici, c’était quelque chose d’exceptionnel donc ces choses là ont beaucoup permis aux  Français de découvrir ou redécouvrir la culture japonaise. Et c’est à ma grande joie. Je vois assez régulièrement les ressortissants japonais habitant à Paris, ou en France, et c’était du jamais vu pour eux aussi ! Ils ont beaucoup apprécié la venue des œuvres d’art et d’arts performants en France, car grâce aux Japonismes 2018, ces amis, ces familles ont pu découvrir ou redécouvrir la culture japonaise, et c’était aussi à la grande joie des ressortissants japonais qui habitent en France.

 

JFM : Est-ce qu’il y a un élément de la culture japonaise qui n’a pas été présenté à Japonismes mais qui pour vous aurait mérité sa place dans cette programmation ?

 

S.E.M. KITERA : Bien sûr, tout n’a pas été représenté dans le cadre du Japonismes 2018, c’est impossible ! Comme la France, au Japon vous avez des régions, des produits de régions, des sites touristiques et autres. Il y a tellement de belles choses et de bonnes choses au Japon que tout n’a pas pu être apporté ici en France. Donc, il m’appartient à moi de demander aux Françaises et aux Français de visiter davantage le Japon pour découvrir les belles choses et les bonnes choses de chez nous.

 

JFM : Au-delà de Japonismes, un évènement culturel, c’est également l’occasion de signer des accords économiques que ce soit entre le Japon et l’Union Européenne (ou JEFTA) ou la coopération économique entre la France et le Japon dans les domaines de l’innovation et de l’économie numérique (juillet 2018). Pourriez-vous nous expliquer en quoi ces accords économiques sont une bonne nouvelle à moyen ou long terme pour les Français intéressés par le Japon ou même pour les Japonais résidant en France ?

 

S.E.M. KITERA : Cet accord que les Français appellent JEFTA, côté Japon, on l’appelle Accord de partenariat économique entre le Japon et l’Union Européenne, et cet accord est entré en vigueur au premier jour de ce mois. Je donne souvent l’exemple des vins en provenance de la France, qui, arrivés au Japon ne seront plus taxés. Et le saké en provenance du Japon vers la France ne seront plus taxés. Alors les Japonais verront plus de bouteilles de vins sur leurs tables, et les Français verront plus de bouteilles de saké sur leurs tables. Et c’est quelque chose de très bien ! Aussi, cet accord prévoit pour d’autres produits la libéralisation après quelques années, une réduction progressive. Il faut attendre à la libéralisation totale mais au niveau des échanges, cet accord  est quelque chose de vraiment profitable. Sur la coopération des deux industries, en ce qui concerne les startups, l’accord est déjà signé. En France, vous avez la Station F, au Japon aussi nous avons des centres. La coopération entre J-Startups et French Tech donnera des résultats positifs. Déjà, avant l’entrée de cet accord, j’ai visité Bordeaux qui est une ville de startups. Les Bordelais étaient très satisfaits avec les petites et moyennes entreprises du Japon, surtout de Fukuoka, en disant que d’habitude ça prend un an pour finaliser les accords, mais avec les Japonais ça passe très vite et c’est fait en cinq mois. L’avenir est prometteur, je pense oui.

 

JFM : Il y a eu effectivement quelques évènements en ce sens, je pense à ceux du JETRO et notamment celui du JFOODO sur le saké où vous êtes intervenu avec Philippe FAURE, ancien Ambassadeur de France au Japon. Vous exprimiez votre préférence pour le shôchû au saké ! Qu’en est-il du shôchû ?

 

S.E.M. KITERA :  Le shôchû est une boisson différente qui contient moins de sucre et ça passe mieux. Autrefois le marché européen imposait aux producteurs japonais de shôchû d’exporter leur boisson dans des bouteilles de 500ml, ce qui leur demandait davantage d’efforts étant donné qu’il est habituellement commercialisé au Japon dans des contenants plus grands. Un nouvel accord a cependant permis d’abroger cette restriction, de faciliter l’exportation du shôchû à travers l’Europe et ainsi d’élargir le choix des boissons alcoolisées aux Français.

 

Notre entretien devait s’arrêter là, mais Son Excellence demande à ajouter un commentaire.

 

S.E.M. KITERA : Je veux ajouter une chose ! Quand je parlais de « ce sont les Français qui comprennent le mieux la culture japonaise, et ce sont les Japonais qui comprennent le mieux la culture française », ce n’est pas un Japonais qui donne accord à ce que je dis. C’est le président de la Philarmonie de Paris, Monsieur Laurent BAYLE qui dit : « ce que vous dites est très valable dans la musique contemporaine. Les Français sont friands de la musique du compositeur Tôru TAKEMITSU et les compositeurs français de la musique contemporaine utilisent souvent les sons japonais. Parfois même des sons de shô ou shichiriki (ndla : ou également appelé de nos jours hichiriki), de la musique de la cour impériale, ancienne de plus de dix siècles, et ces compositeurs français sont critiqués par d’autres compositeurs européens pour ne pas avoir utilisé des sons européens. Alors la réponse des compositeurs français, c’est : quand le son est bon, c’est bon ! ».

 

Remerciements à Son Excellence Monsieur Kitera, et à l’ambassade du Japon en France.

Photo : ©2019 Japan FM.

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