La presse l’avait accusée de pousser au suicide des jeunes à travers le monde. Mais ce visage effrayant est en réalité une sculpture de Keisuke AISO pour une exposition qui a été détruite depuis. Retour sur une fake news d’ampleur mondiale.
Keisuke AISO est le directeur de Link Factory, une société japonaise spécialisée dans la réalisation d’accessoires et d’effets spéciaux pour le cinéma et la télévision, et plus particulièrement dans le domaine de l’horreur. Le blog culturel Spoon & Tamago rappelle ainsi que Keisuke AISO avait été appelé à réaliser des sculptures pour Vanilla Gallery dans le cadre d’une exposition sur le thème des fantômes, qui s’est tenue à l’été 2016 à Ginza, Tôkyô. C’est pour cette exposition que Keisuke AISO avait créé une sculpture effrayante au visage pâle et émacié, aux grands yeux sortant de leur orbite avec de longs cheveux noirs et au corps d’oiseau, inspirée d’un fantôme (ou yôkai) du folkore japonais appelé ubume, fantôme associé aux femmes mortes en donnant naissance. L’histoire aurait pu simplement arrêter là, mais c’était sans compter l’univers merveilleux d’internet et l’emballement sans fondement des médias. Car la sculpture a refait une apparition à l’été 2018, malgré elle. Son image circulerait sur les messageries instantanées via un numéro de téléphone pour une utilisation détournée et sans l’accord de son créateur, incitant celui qui reçoit son image à réaliser des défis dangereux sous des menaces. En juillet 2018, un parent en Argentine l’accuse d’être responsable du suicide de sa fille de 12 ans. La presse commence à s’emparer de cette histoire : la légende du Momo challenge est née. En France aussi. Après avoir découvert le corps de son fils pendu, un père porte plainte en novembre 2018 contre YouTube, WhatsApp mais aussi l’état pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Il affirme en effet que son fils avait été poussé au suicide à cause du Momo challenge. Sauf que le Momo challenge n’a jamais existé ! Et tout a commencé à partir du décès de la jeune fille en Argentine, relayée par la presse nationale comme étant morte à cause de ce défi. Une information qui a été relayée ensuite à travers le monde entier sans que les journalistes ne prennent la peine de vérifier l’information. En réalité, jamais les autorités n’ont pu trouver de lien entre ces décès et ce défi sur internet, d’autant que la jeune fille argentine de 12 ans est en réalité morte après avoir été victime d’une agression sexuelle comme le rapporte Le Monde. Si certains journaux ont bel et bien relayé le Momo challenge comme étant un défi qui n’a jamais existé dès le mois de septembre 2018, cela n’a pas empêché beaucoup d’internautes d’y croire dur comme fer. Pire encore, le Momo challenge refait une apparition en février 2019, cette fois au Royaume-Uni où les rumeurs reprennent. Des plaintes sont enregistrées, accusant même l’image de l’ubume de Keisuke AISO de faire des apparitions sur YouTube dans des vidéos pour enfants aux côtés des très populaires « Peppa Pig » et « Fortnite », ce que, encore une fois, certains journaux relaient. Parce que la fake news persiste, YouTube a posté un communiqué ce 27 février dans lequel la société indique qu’il n’y a aucune preuve selon laquelle la créature apparaîtrait sur des vidéos pour enfants et des organismes caritatifs en faveur des enfants ont ainsi déclaré que le Momo challenge est un canular. Quelque soit le pays, il n’y a donc jamais eu de cas de suicide d’enfants causé par le Momo challenge.
Le plus dramatique dans ce canular ce sont les dommages envers le créateur de la sculpture. Depuis l’apparition médiatique du Momo challenge en juillet 2018, Keisuke AISO a expliqué auprès de Buzzfeed Japon avoir reçu de nombreux messages de haine en différentes langues sans en comprendre la raison ! C’est à cause de ces messages qu’il a été sur internet pour découvrir que l’image de son ubume avait été détournée à tort, qui plus est, sans son consentement et déplore ainsi ce canular. Après le retour du hoax au Royaume-Uni, le quotidien anglais The Sun est allé à sa rencontre il y a quelques jours et Keisuke AISO précise alors que la créature originale a été détruite il y a un an en déclarant que « Les enfants peuvent être rassurés, Momo est morte – elle n’existe pas et la malédiction avec. ». Non, elle n’a pas été détruite à cause du Momo Challenge, mais parce que la sculpture était en état de dégradation et n’a jamais été destinée à être conservée.
Sources : Spoon & Tamago, The Sun, The Guardian, Le Monde, Le Figaro.
Photo : l’œuvre originale via Instagram @j_s_rock