Une table ronde avait été organisée le 8 mars au Sénat sur les enfants franco-japonais privés de tout lien avec leur parent français. Pourtant, la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants est entrée en vigueur au Japon le 1er avril 2014.
Si le 1er avril 2019, cela fera 5 ans que la Convention de La Haye sera entrée en vigueur au Japon, le pays ne semble pas respecter les décisions de justice pour permettre des droits de visite voire de garde du parent étranger. Or le texte indique que « l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde » et qu’en ce sens, les enfants ne devraient pas être privé de l’un ou l’autre de ses parents en faisant respecter les droits de garde et/ou de visite. La table ronde qui s’est tenue au Sénat vendredi 8 mars et présidé par le sénateur représentant les Français établis hors de France, Richard YUNG, a permis de dresser un état des lieux 5 ans après que la Convention de la Haye soit entrée en vigueur au Japon et de proposer des actions afin de résoudre ces conflits.
« Ne vous inquiétez pas, le Japon a signé La Haye » répond un juge français à une mère qui va devoir bientôt envoyer ses enfants au Japon
Car en France, de nombreux parents se battent « depuis presque deux décennies » pour faire reconnaître leurs droits en atteste l’association Sauvons Nos Enfants Japon. Un combat qui continue puisqu’en dépit de la Convention de La Haye, ils seraient « aisément plus d’une centaine d’enfants franco-japonais » à n’avoir pas vu leur parent français d’après Paul-Georges TOUJA, président de Sauvons Nos Enfants Japon. Car si la ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes mentionne en février 2018, 11 dossiers saisis depuis le 1er avril 2014 et qui seraient en grande partie résolus, l’association indique que cela ne concerne que des cas précis dans le cadre de la convention. C’est là toute la difficulté de ces parents français privés de leurs enfants, l’autorité centrale française ne traitant que les cas de déplacements illicites d’enfants qui ont lieu depuis la France, ce qui pour l’association ne concerne pas les enfants déplacés illicitement vers le Japon avant le 1er avril 2014, ni ceux enlevés a posteriori mais dont le parent, à défaut d’en avoir eu connaissance, n’a pas initié une procédure dans le cadre de la convention dans les 12 mois qui suivent le déplacement, ni les cas d’enfants partis avec l’accord du parent (tout en ayant un droit de visite, qui au final n’est pas respecté), et surtout ne concerne pas les enfants enlevés par leur parent japonais à l’intérieur du Japon dans le cadre d’un(e) Français(e) résidant au Japon. « Faut-il que je me sacrifie pour [ma fille] pour qu’elle ait au moins sa mère ? » se demande ainsi un père dont le cas ne relève pas de la convention pour avoir accepté un accord et dont le combat pourrait s’achever sur un drame, celui du placement de sa fille en famille d’accueil. Et malgré la convention, ce n’est pas pour autant qu’elle est respectée. Bjoern, toujours marié, est allemand et a deux ordonnances en sa faveur et malgré ça, cela fait 21 mois qu’il n’a pas vu ses enfants. Une maman présente à la table ronde s’inquiète ainsi d’envoyer ses enfants voir leur père au Japon car elle sait ce qui peut se produire. Au-delà de La Haye, le Japon violerait donc aussi la Convention relative aux droits de l’enfant, que le pays a ratifié en 1994, et qui stipule notamment que les états signataires s’engagent « à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales ».
Des différences culturelles auxquelles les non Japonais ne sont pas préparés
Une situation dramatique qui est propre au Japon où 150 000 enfants sont enlevés à l’un des parents chaque année d’après des chiffres officiels, et privés de tout contact avec ce dernier, y compris au sein d’un couple de Japonais. Au motif que la garde d’un enfant n’est accordée par la justice qu’à l’un de ses parents et de façon exclusive au Japon (selon le code civil, le parent ayant l’autorité parentale exclusive est celui ou celle -dans la majeure partie des cas la mère, dont le nom est inscrit dans le koseki), et au motif d’un « principe de continuité », le droit de l’autre parent est complètement nié. La loi même est ignorée par les juges japonais au nom de ce principe. Tous ces parents auraient beau faire appel à la police, celle-ci n’interviendra pas, du moins pas en leur faveur en raison de ce « principe de continuité » et de garde exclusive. Pour des parents français, cela est totalement incompréhensible. Pire encore, pour ces parents privés de leurs enfants « le premier enlèvement est gratuit » (selon les propos d’un parent), comprenez : le premier parent qui part avec l’enfant obtient alors la garde exclusive. Ils auraient beau demander à la police d’intervenir afin de faire valoir leur droit de visite, reconnu pourtant par la justice, ils pourraient finir au contraire en garde à vue jusqu’à 23 jours. C’est le cas par exemple d’Emmanuel accusé par sa femme de tentative d’enlèvement mais aussi accusé par les autorités japonaises de nuire aux relations franco-japonaises ! De plus, certains enfants privés de leur parent non japonais peuvent grandir dans un climat de détestation du parent en question en opposition au droit international qui garantit à tout enfant le droit de « grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension. ». Et quand bien même le droit de visite est respecté, la norme au Japon est un droit de visite de 2 à 4h par mois pour le parent n’ayant pas la garde exclusive, qui plus est, seulement dans un lieu public et « en présence d’une personne tierce ». Sans oublier que la personne ayant la garde de l’enfant a tous les droits sur l’enfant et peut prétendre une fièvre pour que la visite soit reportée voire annulée. Or, le nombre de mariage binationaux est croissant. Le consulat de France au Japon recense ainsi 321 actes de mariage binationaux sur 350 mariages en 2009, une augmentation de 168% par rapport à 1999, et sur cette même année 233 actes de naissances binationaux sont enregistrés, soit une hausse de 140% par rapport à 1999. Autre difficulté : dans le cas d’un(e) expatrié(e) résidant au Japon et s’étant marié puis divorcé avec un(e) Japonais(e), le titre de séjour leur est renouvelé uniquement si l’expatrié(e) a l’autorité parentale exclusive. Dans le cas contraire, ils perdent leur titre de séjour voire le bureau de l’immigration leur refuse un visa d’entrée sur le territoire japonais, aggravant la rupture des liens entre le parent et son enfant. Autre fait inquiétant soulevé par Paul-Georges TOUJA, c’est la tenue d’un séminaire à la MCJP le 15 mai 2018 organisé par le ministère des Affaires étrangères du Japon et la Fédération japonaise des associations du Barreau. D’après un enregistrement dont il existe une synthèse en français, il y avait été fourni des astuces pour contourner la Convention de La Haye afin que des parents japonais puissent emmener leur enfant jusqu’au Japon sans risque !
Parmi les solutions proposées lors de cette table ronde, il est évoqué l’idée lister les cas et d’en faire un suivi mais surtout de mieux informer les Français du risque et des mesures à prendre lorsqu’ils se retrouvent privés de leurs droits parentaux, voire même avant que cela ne se produise. Car un des principaux problèmes réside dans ce manque d’information. Si les parents japonais sont culturellement préparés à perdre leurs droits parentaux, les étrangers ne le sont pas du tout et n’ont pas les outils pour se défendre, certains d’entre eux n’ayant pas connaissance de la Convention de La Haye. Une table ronde qui n’est donc que factuelle pour les parents déjà privés de leurs enfants, mais qui pour le sénateur YUNG a un intérêt si les journalistes présents ce jour-là, dont la presse japonaise, relaient l’information et surtout, qu’elle ne soit pas censurée au Japon comme c’est généralement le cas. Voici la vidéo de cette table ronde:
L’enlèvement ou déplacement illicite des enfants binationaux ne concerne pas que les enfants franco-japonais. Le département d’état américain a ainsi classé en 2018 le Japon comme un pays ne se conformant pas aux obligations de la Convention de La Haye. La même année, 26 ambassadeurs de l’Union Européenne, dont l’ambassadeur de France au Japon, ont écrit une lettre commune à la ministre de la Justice du Japon pour lui faire part de leur préoccupation.
Un reportage sur le sujet des enfants franco-japonais enlevés par leur parent japonais devrait être diffusé sur France 2 dans « Envoyé Spécial » le 21 mars 2019.
Photo : Table ronde au Sénat de ce vendredi 8 mars 2019 ©2019 Japan FM.