Avec l’instauration d’un couvre-feu, ce sont plusieurs secteurs déjà fragilisés par le confinement puis les mesures sanitaires qui sont durement frappés. Le milieu du spectacle est ainsi contraint à aménager voire annuler leur programmation. Si la MCJP travaille actuellement à l’adaptation de sa programmation de ces prochaines semaines, nous vous proposons un flashback sur Arika, présenté en mars juste avant le confinement !
A quelques jours du confinement, nous avions assisté à la répétition générale du spectacle Arika à la MCJP et nous avions pu rencontrer le danseur et chorégraphe Yasutake SHIMAJI et le musicien Roy TAMAKI. Ce même soir, le Président de la République française annonçait la mise en place d’un confinement dans tout le pays à compter du 17 mars 2020. C’est donc avec un certain soulagement que nous apprenions que les deux représentations d’Arika prévues les 13 et 14 mars, avaient pu être maintenues malgré l’obligation d’une jauge réduite à 100 personnes.
Telle une passerelle entre plusieurs univers, la scène créée pour Arika est un pont entre le territoire de la danse contemporaine et celui du rap. Arika étant « un endroit où les choses naissent et existent », Yasutake SHIMAJI et Roy TAMAKI ont chacun exploré l’univers de l’autre puis tenté de se l’approprier. S’exprimer par les mots ou par le corps, est-ce si différent ? Il faut savoir qu’avant de travailler sur la création d’Arika, les deux artistes se sont connus par le biais d’amis communs. Mais Yasutake SHIMAJI avait l’habitude d’écouter ses morceaux avant de le rencontrer, et trouvait que Roy TAMAKI dégageait une image différente des rappeurs habituels, en ayant des mouvements atypiques même dans son quotidien, comme par exemple sa façon de tenir un verre ! Pour le danseur et chorégraphe, tout est parti de là. On note une admiration réciproque car Roy TAMAKI nous indique avoir surtout découvert Yasutake SHIMAJI en travaillant avec lui, et a constaté petit à petit que le danseur était surtout un performer, marqué par sa polyvalence. Une qualité due peut-être grâce au parcours atypique de Yasutake SHIMAJI. Il a en effet débuté comme street dancer puis s’est mis au break dance ou encore le hip hop. Un jour, il passe une audition pour intégrer la Forsythe Company où il est accepté bien qu’il n’ait jamais appris les bases de la danse classique ! Il y est resté neuf ans, et William FORSYTHE, qui a la réputation d’être dur, exigeant avec ses danseurs, lui a appris à ne pas être dans un état stable de créativité. Le célèbre chorégraphe le fait sortir de sa zone de confort et lui fait danser des pièces de ballet. Yasutake SHIMAJI considère que William FORSYTHE ne l’a pas formé en danseur mais en artiste ! Lorsqu’il rentre au Japon, il pense donc à créer Arika avec une volonté de mélanger les rôles pour sortir des cases et qu’il pense à Roy TAMAKI pour une collaboration. Ce dernier évoque également une volonté de sortir d’une routine, de sortir des rôles figés dans leurs univers respectifs. Il a fallu néanmoins instaurer un cadre de travail puisque chacun avait une manière de travailler différente ! Puis, si Roy TAMAKI a l’expérience de l’expression corporelle sur scène, il n’avait aucune expérience de danseur et n’avait pas l’habitude d’une proximité immédiate avec autrui, ce qui est tout l’inverse pour Yasutake SHIMAJI, pour qui au contraire, le contact physique permet de communiquer. Il a donc fallu trouver un terrain d’entente. Roy TAMAKI nous raconte une anecdote en exemple : en tant que musicien il n’avait jamais été amené à se coucher sur le sol d’une scène, et il avait refusé au départ de le faire, trouvant ça sale. Finalement, il estime que travailler avec Yasutake SHIMAJI lui a permis de bouleverser sa façon de travailler. Bien que ce ne soit pas la première fois que le musicien collabore avec des artistes issus d’autres disciplines artistiques, il y a eu une longue période de travail de création à deux pour Arika et Roy TAMAKI a alors le sentiment que cette expérience l’influencera sur ses futurs travaux. De son côté, Yasutake SHIMAJI a appréhendé le rap en cherchant les règles communes entre les deux mondes artistiques et a trouvé quelques similitudes comme la façon d’appuyer les sonorités. En sortant de sa zone de confort, il a surtout vu une manière de se retrouver et de se stimuler artistiquement. Résultat, une belle performance scénique de la part des deux artistes, qui devrait être vue plusieurs fois. En effet, la version proposée pour la MCJP comportait des parties figées, afin de traduire certaines parties pour une compréhension du public. En temps normal, les représentations diffèrent les unes des autres car l’improvisation fait partie du spectacle. Il serait donc intéressant de (re)voir Arika pour observer comment les deux artistes se répondent sur scène dans cette configuration.
Par chance, les représentations ont été maintenues et le public a pu apprécier Arika. Au moment où le confinement en France était annoncé, la situation dans le reste du monde et notamment au Japon était également inquiétante et on se demandait si les artistes avaient des inquiétudes. Si Roy TAMAKI ne semblait pas inquiet alors, estimant que cela fait partie de la vie, Yasutake SHIMAJI pensait déjà, à raison, qu’il y aurait différentes réactions selon les pays et appréhendait la crise sanitaire ainsi :
Je pense que c’est un timing pour se requestionner sur sa vie quotidienne et savoir quelles sont nos propres valeurs. Ce serait mieux si cette situation n’était pas là, mais une fois que c’est là, il faut saisir cette occasion pour se requestionner tant sur un plan personnel que sur l’Etat.
Yasutake SHIMAJI
Les prochains spectacles annoncés à la Maison de la Culture du Japon à Paris et qui semblent maintenus au moment de la mise en ligne de cet article sont : Il était trois fois Cendrillon au Japon, prévu les 23 et 24 octobre à 14h30, et, La Famille Schumann et ses amis, prévu le 4 novembre à 18h30 (horaire avancé dans le respect du couvre-feu).
Photo officielle ©Naoshi Hatori