A l’occasion du vernissage presse des nouvelles expositions à la Maison Européenne de la Photographie, nous avons rencontré Motoyuki DAIFU pour discuter de sa série Lovesody, réalisée en 2008, publiée en 2011 et présentée pour la première fois dans une institution européenne. Cet article est réalisé grâce à cet entretien, avec l’aide de son galeriste, Jeffrey Ian ROSEN, et de la commissaire de cette exposition, Laurie HURWITZ.
Lovesody, c’est une série de photographies intimes d’une relation amoureuse particulière, au regard de la société japonaise. Motoyuki DAIFU, tout juste diplômé du Tokyo Visual Arts College, est tombé amoureux d’une femme, enceinte et déjà mère d’un petit garçon. Cette histoire dure six mois, un amour éphémère qui demeure néanmoins éternel puisqu’il en ressort de nombreuses photographies qu’il baptise Lovesody, et qui s’inscrit donc parfaitement dans le thème de cette exposition. Pourtant, c’est bien un regard sur le travail et la composition photographique qu’il souhaite privilégier aux yeux du public, plutôt qu’un regard sur les sentiments ressentis alors. Etrangement, c’est avec le temps qu’il reconnaît cette attache affective et les émotions qu’il ressentait à l’époque. A l’occasion de la préparation de l’exposition à la Maison Européenne de la Photographie, il s’est rendu compte que la distance qu’il avait lorsqu’il avait pris les photos était de nouveau bien présente. En réalisant le choix des photographies à exposer et la création du fanzine, disponible en édition limitée et signée à 350 exemplaires à la MEP et ici, cette distance retrouvée lui a permis de mettre en avant sa vision de photographe.

Motoyuki DAIFU reconnaît pourtant avec le recul que cette histoire d’amour était une relation impulsive, comme bon nombre de relations amoureuses vécues par de jeunes adultes – il avait 23 ans à l’époque. Il n’a donc jamais vraiment réfléchi au fait que cette femme avait déjà un enfant et en attendait un autre. Il était juste tombé éperdument amoureux d’elle ! J’évoque tout de même cette ancienne petite amie, dont il a déjà dit par le passé qu’il ne souhaite que du bonheur pour elle, refusant d’en dire davantage sur sa réaction face à la publication des photos. Citant une interview passée, il n’en dira toujours pas plus sur ce sujet, acceptant toutefois de révéler avoir pris de ses nouvelles en 2019 et nous saurons seulement qu’elle a aujourd’hui 5 enfants.
Cette exposition m’amène à un autre sujet représentatif de la société japonaise, où le concept de tatemae/honne ou omote/ura priment (je traduis ici grossièrement ce concept comme le comportement de façade versus la véritable personnalité ou vie privée). Motoyuki DAIFU présente à travers Lovesody, le quotidien de sa vie de couple ou plutôt de famille puisqu’il vivait également avec l’enfant de sa compagne. Il s’agit alors de photographies intimes. Il y présente aussi un certain chaos entre jouets, sacs poubelles, linges qui s’entassent, le tout dans un petit appartement très représentatif des logements à Tôkyô. Rien n’est mis en scène et de ce grand désordre, le public peut remarquer la beauté de cette relation amoureuse. Cette intimité de la sphère privée, Motoyuki DAIFU l’a également saisie à travers Project Family, où il réalise le portrait de toute sa famille dans un quotidien sans filtre. Là encore, le chaos qui y règne semble à l’opposé de la société japonaise ordonnée façon Marie KONDO que l’on veut bien nous présenter ! Que ce soit la relation amoureuse dans Lovesody ou la vie de la famille DAIFU dans Project Family, ce genre de photographies exposant le privé surprend-elle au Japon ? Etonnamment, plus que Lovesody, c’est surtout sa série Project Family qui semble avoir le plus dérangé le public japonais, particulièrement les photos où les membres de sa famille sont dénudés bien plus que le bazar présenté. C’est à se demander si la vie quotidienne des Japonais n’est pas une mise en scène constante ?

Il est fort probable que nous nous soyons tous un peu perdus dans la traduction sur cette question en rapport avec les concepts de honne et tatemae, mais Motoyuki DAIFU répond que d’une certaine manière, les Japonais ont tendance à ne pas dire directement les choses quoi qu’ils soient concrètement conscients des situations et savent lire entre les lignes. Si pour nous, étrangers, les photos de Nobuyoshi ARAKI peuvent paraître exotiques (vous pouvez voir Sentimental Journey et Winter Journey dans Love Songs aux étages supérieurs de la MEP), si on ne connaît pas l’œuvre du photographe, les Japonais, eux, savent qu’il s’agit de photographies exposant l’intimité du couple et exprimant ce qui généralement ne l’est pas. En ce sens, Motoyuki DAIFU œuvre dans la continuité d’ARAKI et de nombreux autres photographes japonais, en exprimant cette part invisible.
A noter que le nom de Motoyuki DAIFU est lié à celui de l’écrivain français Michel HOUELLEBECQ ! A la demande de la maison d’édition The Gould Collection (présent à Paris, Tôkyô et New-York), des photographies de Motoyuki DAIFU ont été utilisées avec des poèmes de l’écrivain français dans Hypermarché-Novembre, un ouvrage sur les thèmes de l’amour, la souffrance, la vie quotidienne et la famille. Il s’avère donc qu’il n’y ait pas eu de collaboration directe entre le photographe et l’écrivain, mais c’est après publication de l’ouvrage (qui n’est plus disponible !) qu’un échange entre les deux artistes s’est fait.
- Love Songs et Lovesody à la MEP : informations pratiques et présentation des photographes japonais exposés.
- Sur le site de Motoyuki DAIFU, découvrez la série Project Family mentionnée dans l’article.
- Hypermarché-Novembre par The Gould Collection, avec des photographies de Motoyuki Daifu et poèmes de Michel Houellebecq, épuisé.
Photo : Motoyuki DAIFU à la MEP ©Japan Exclusive